Critique : Interstellar

intersDe Christopher Nolan avec Matthew McConaughey, Anne Hathaway et Jessica Chastain

La note des Cinévores : 3étoiles

Depuis sa maison de campagne perdue, Cooper (Matthew McConaughey), ex pilote aéronautique reconverti dans l’agriculture, observe le monde agoniser aux côtés de sa fille surdouée, de son fils volontaire et de son beau-père aimant. Alentour, le ciel, jadis clément et irisé, semble avoir abdiqué, se laissant malmener par des violents vents de poussières qui recouvrent les bâtisses, les cœurs, les humeurs. Et si la panacée se cachait derrière les nuages ? Et si la réponse à cette déréliction était blottie là-haut, bien au-delà de ce drone que la famille suit en traçant des traits d’espoir sur des champs de maïs séculaires ? Quand Cooper débarque par inadvertance dans une base secrète de la NASA après une balade fuligineuse, il fait la rencontre de l’illustre professeur Brand et de son équipe de génies, qui l’embarquent séance tenante dans un voyage interstellaire visant à offrir aux terriens une nouvelle planète d’asile. Après Inception et la trilogie Batman, le réalisateur Christopher Nolan continue à repousser les limites de la SF avec Interstellar, un projet qui, disons-le d’entrée, déploie une ambition pantagruélique, totale, généreuse, folle. Si folle qu’on se demande comment le britannique a réussi à obtenir un budget d’environ 150 millions de dollars sur la base d’un scénario d’une grande complexité, narguant le mainstream le menton levé. Car oui, le long métrage en question se rapproche davantage, toutes proportions gardées, de l’ascétisme d’un 2001, l’Odyssée de l’Espace que des aventures ludiques de Sandra Bullock dans Gravity. Nolan – et c’est tant mieux – ne prend jamais le spectateur par la main. Il attrape son cerveau et le serre fort, très fort, pendant près de trois heures. Rien de surprenant quand on sait que depuis Memento, le bonhomme est devenu le nouveau chantre du cinéma puzzle, de la déstructuration narrative, des questionnements scientifiques à nous refiler des céphalées nécessaires. Interstellar ne déroge pas à ce parcours en forme de casse-tête chinois et place la science au cœur de son entreprise à travers les dialogues passionnants des personnages. Des êtres cartésiens, pour qui le monde se résume à une multitude d’équations. D’ailleurs, si le résultat impressionne autant, c’est probablement parce qu’il va au bout de ces questions qui, lorsqu’elles nous traversent brièvement l’esprit, finissent par nous hanter et nous rendre dingues. Qui est-on dans cette immensité ? Qu’est-ce qu’il y a au-dessus, par-delà notre propre système solaire ? Qu’est-ce que ça fait d’entrer dans un trou noir ? Que ressent-on face au mystère de la vie ? A cette approche purement théorique, faite de physique quantique et de calculs matriciels, Nolan nous offre une seconde grille de lecture composée de trois données plus parlantes : l’amour (celui qui lie Cooper à sa fille), la spiritualité (préférée judicieusement aux faits religieux) et le temps. Ce temps qui se distord, à mesure que l’on se déplace d’une planète à l’autre et qui devient étrangement relatif quand [il faut voir le film pour connaître la suite de ma phrase]. Soyons clairs : on ne comprend pas toujours tout durant ces trois heures mais on se perd volontiers dans les dédales de ce récit multi-dimensionnel, hyper-stratifié et d’une vraie richesse. Il n’empêche que, au-delà du trip sidéral et sidérant qui nous est proposé, quelques défauts viennent nous cogner comme de tranchants astéroïdes : l’excès d’emphase (les séquences émotionnelles sont surlignées outrancièrement par la BO de Hans Zimmer), l’irrégularité du scénario (Nolan le comprend-il vraiment ?) ou la sur-symbolisation permanente de chaque idée (préférée au pouvoir de la suggestivité)… En définitive, Interstellar reste à ce jour le film le plus impressionnant traitant de l’espace, grâce à quelques séquences anthologiques, mais irrite en creux par les partis pris ostentatoires de son cinéaste.

Mehdi Omaïs