Critique : La prochaine fois je viserai le cœur

De Cédric Anger avec Guillaume Canet, Ana Girardot et Jean-Yves Berteloot

La note des Cinévores : 3étoiles

Après Tom Cruise (Collateral), Charlize Theron (Monster) ou Matthew  McConaughey (Killer Joe), c’est au tour de Guillaume Canet de s’essayer à l’exercice épineux du contre-emploi. Dans La prochaine fois je viserai le cœur, l’acteur et réalisateur se glisse sous les traits de Franck, gendarme en retrait. Un homme en apparence droit dans ses bottes, intègre, qui aime le travail bien fait. La preuve ? Il fait montre d’une abnégation totale quand il est question de mettre la main sur un redoutable tueur en série qui terrorise les habitants de l’Oise. Seulement voilà, ce que ses collègues ignorent, c’est que Franck est le tueur. La nuit venue, comme en témoigne la prodigieuse séquence d’ouverture, tendue et maîtrisée, ce dernier traque des filles isolées. Selon ses humeurs, il les effraie ou les séduit avant de tirer sur elles. Située à la fin des années 1970, l’intrigue de ce long métrage de Cédric Anger, à qui l’on doit L’avocat, est inspirée des horreurs perpétrées par Marcel Barbeault, connu sous le nom du « tueur de l’ombre ». Autant dire que le cinéaste française s’en est sorti comme un chef en évitant le piège du film à traque. Ici, c’est l’intériorité de son anti-héros qu’il dissèque comme une grenouille de labo. Avec une mise en scène au cordeau et un cadre très soigné, il nous invite à mettre les pieds dans la dualité tranchante de Franck. Côté face : représentant de la loi supposément clean, avec une coiffure de premier de la classe. Côté pile : un loup solitaire et carnassier, qui se flagelle autant qu’il abhorre ses semblables. En évitant d’esthétiser ses méfaits ou de se casser la figure sur le sol glissant du sensationnalisme, Anger suit sa bête humaine dans ses dérives et provoque, avec sobriété, de vraies situations d’inconfort. Guillaume Canet, parfait dans ce rôle, y est pour beaucoup. Loin des personnages rieurs et charmants qu’il campe souvent, il prête son visage verrouillé à Franck et joue avec une économie de gestes bienvenue. S’il ne réussit pas tout ce qu’il entreprend, notamment l’histoire d’amour mal écrite entre Franck et un personnage incarné par Ana Girardot, Cédric Anger propose une œuvre intrigante et dérangeante, dont la froideur évoque une lame de couteau acérée qui tranche la gorge du tout-venant. Bravo pour cette singularité.

Mehdi Omaïs