Critique : 50 nuances de Grey

50nuances

De Sam Taylor-Johnson avec Jamie Dornan, Dakota Johnson et Jennifer Ehle

La note des Cinévores : 2etoiles

Bien souvent, une attente immodérée engendre une déception de taille. En transposant à l’écran 50 nuances de Grey, tiré de l’œuvre érotique d’E.L. James, la réalisatrice Sam Taylor-Johnson pourra difficilement se soustraire aux voix discordantes. Lesquelles seront sûrement nombreuses au regard des millions d’exemplaires écoulés à travers le monde. On peut d’ailleurs présupposer, sans grande marge d’erreur, que chaque lectrice, qui a projeté ses fantasmes intimes sur ceux de l’héroïne, aura son mot à dire sur les choix des personnages, des objets, des positions et de la mise en scène. Car oui, la trilogie, d’une certaine façon, leur appartient. Mais au fait, au-delà de sa portée sexuelle – tout le monde a compris que c’était charnel à moins d’avoir été cryogénisé le siècle passé –, de quoi parle vraiment ce bouquin ?

Comme dans un conte de fée, l’œuvre en question s’articule autour d’une rencontre électrisante entre deux personnes et, par extension, entre deux univers opposés. D’un côté : Anastasia Steele, étudiante en littérature anglaise, bien gaulée, vierge, candide. De l’autre : Christian Grey, jeune patron d’un empire, psychorigide, dont le cœur rouge est caché par une froideur de glace carbonique. Quand la première remplace son amie pour interviewer le second, atomes crochus il y a. Tout en haut d’une tour parfaitement phallique, eut égard à un plan en contre-plongée très évocateur, les mots s’empoignent. Le souffle hésitant de la jeune fille réveille le désir du jeune homme. La tension sexuelle est bien là, appuyée, exagérée même – mordillements inopinés des lèvres, rajustements de mèches rebelles, mâchouillage sportif de crayon. Mais elle est bien au rendez-vous.

Seul problème ? Anastasia apprend que Christian n’est pas du genre à lui offrir une relation « normale », incluant sorties au restaurant, cinéma et tutti quanti. Non. Ce dernier, qui « baise violemment » au lieu de « faire l’amour », ne jouit que si sa partenaire s’offre à lui, dans la soumission la plus totale. A cet effet, il cache dans sa demeure clinquante une pièce rougeoyante et ultra équipée, dans laquelle il peut s’adonner à ses penchants SM. Impossible d’ailleurs de ne pas penser à un tueur en série (Patrick Bateman n’est pas loin) devant ses outils parfaitement rangés en vue de forfaits sexuels. Anastasia parviendra-t-elle à ressusciter l’humanité de celui dont elle est tombée en pâmoison ou, au contraire, réussira-t-il à faire d’elle, par contrat, une esclave nocturne et endurante ?

Evidemment, présentées comme ça, les choses sont crues. Mais, à l’écran, Sam Taylor-Johnson privilégie la neutralisation des ébats pour s’attarder sur la naissance du désir et de ses manifestations. Ceux qui rêvent de séquences à la Nymphomaniac peuvent, séance tenante, changer de direction. Le résultat final est en effet à l’érotisme SM ce que Le monde de Nemo est au cinéma gore. Jusqu’au-boutiste, la réalisatrice de Nowhere Boy ne s’écarte jamais de son angle d’attaque : proposer une comédie (pas tout à fait) romantique. A ce jeu, elle s’en tire plutôt bien, colle à son intention et livre un divertissement honnête. Comme disait un sage : elle fait le job, quoi ! Alors oui, les défauts et maladresses sont nombreux, dans la forme, qui évoque une publicité pour montres de luxe ou parfums allurés, dans le fond, toujours très réducteur, et chez les personnages (portés par les très acceptables Jamie Dornan et Dakota Johnson), écrits à la truelle.

Mais là où le bât blesse vraiment, c’est dans la construction psychologique de Christian. Ce bout d’homme qui tyrannise la femme et pratique une sexualité de pouvoir en réaction à une enfance, dira-t-on, difficile. Nous sommes là exactement dans les mêmes ressorts à trois francs qu’utilise la majorité des films d’horreur. Son profil aurait gagné à être épaissi, mieux travaillé. Alors qu’il est littéralement gangrené de violentes noirceurs, le voilà transformé en prince charmant quasi idéal – costumes de ouf, hélicoptère de nuit, maison superbe, buste glabre et musclé… –, à qui s’offrir (assez) facilement. Posons donc la question : comment la « femme d’aujourd’hui », qui ne cesse de s’affirmer et d’assumer ses désirs, peut-elle à ce point aimer et célébrer un homme aussi macho, à ce point dominateur et désincarné ? Il y a là, quelque part, un vrai paradoxe dans lequel le scénario aurait dû donner un coup de fouet. Histoire de mieux comprendre cette fascination collective qui va à contre-courant d’un féminisme prégnant.

Mehdi Omaïs