Gaspar Noé, réalisateur culte d’Irréversible et Enter the void, peut avoir le sourire. Après deux passages par la Commission de Classification, son dernier long métrage Love a finalement été interdit aux moins de 16 ans. C’est bien mieux que les 18 ans que recherchait Fleur Pellerin, l’actuelle Ministre de la Culture. Pour LesCinévores, le cinéaste revient sur lesdits faits, sur l’accueil du film à Cannes, sur la société française ou sur la 3D… Confidences.
Après d’intenses tractations, Love est finalement interdit au moins de 16 ans. Soulagé ?
Oui… Le film est passé une seconde fois en Commission de Classification à la demande de Fleur Pellerin. L’interdiction aux moins de 16 ans a été maintenue. Cela me parait être la chose la plus normale du monde. Pour tout vous dire, je suis même surpris que le débat ait pu se poser. Cela fait une vingtaine d’années que certains longs métrages véhiculent une représentation intelligente du sexe, avec des pénis en érection où des scènes de pénétration. Il y a eu Intimité de Patrice Chéreau, L’humanité de Bruno Dumont ou Pola X de Leos Carax. Récemment, La vie d’Adèle a été interdit aux moins de 12 ans… Du coup, je ne m’attendais vraiment pas à une telle polémique. Il y a des livres qui abordent explicitement le sexe en libraires et un océan de pornographie et de violence sur internet. Face à ça, les discussions soudaines sur Love me paraissent complètement rétrogrades. Moi, j’ai grandi sous Giscard en regardant Délivrance ou Taxi Driver à 20h30 sur des chaînes d’état officielles. Il y avait juste un petit rectangle blanc en bas de l’écran. Même L’empire des sens de Nagisa Oshima a été multidiffusé ces dernières années.
Comprenez-vous l’entêtement de Fleur Pellerin ?
Je ne crois pas qu’elle se soit personnellement entêtée… Je ne connais d’ailleurs rien de ses goûts en la matière. Je pense plutôt qu’elle a été conseillée et poussée par des tierces personnes. Ces derniers temps, des gens appellent en permanence à la reclassification d’œuvres pour, en quelque sorte, exister en société. N’importe quelle cause est bonne pour faire parler de soi ! Certaines réalisations de Sergio Leone, originellement tous publics, sont désormais prohibées aux moins de 12 ans. C’est inquiétant. C’est un peu comme si on voulait rappliquer des logiques vichyssoises et que le cinéma était sous le contrôle du « maréchal » (Récemment, l’association Promouvoir a fait parler d’elle avec la réévaluation du film Saw 3D Chapitre final, ndlr).
Vincent Maraval, votre producteur, parle de « terrorisme moral ». Validez-vous cette expression ?
Ce sont ses termes… (petit sourire) Je trouve qu’il faut que le cinéma avance et qu’on ne revienne pas sur des acquis.
Qu’est-ce qui pose concrètement problème dans Love ?
Il y a un souci concernant la représentation du bonheur. Parce que celle-ci se traduit par des scènes de sexe… (Réflexion) Mon film n’est pas audacieux mais honnête. Il est à prendre au premier degré. J’y relate simplement la vie d’un homme qui a bifurqué, qui a raté des choses, qui a eu un enfant non-désiré… Les gens qui tapent dessus veulent s’affirmer. Comme à Cannes où je m’en suis pris plein la gueule. On ne parle pas vraiment de l’œuvre… C’est l’aigreur du critique, sa fatigue ou ses verres d’alcool consommés qui prennent le pas… Ou encore la colère du mec qui n’avait pas envie de voir une grosse bite à l’écran. Peut-être qu’ils adorent le résultat mais qu’ils veulent s’y comparer pour exister…
On dit souvent de vous que vous êtes un cinéaste sulfureux… Souscrivez-vous à cette appellation ?
Vous savez, moi, je n’invente rien. Je suis un simple chainon d’une longue série de cinéastes qui ont franchi le pas. Pourquoi ne peut-on pas filmer des gens qui font l’amour comme dans la vie alors qu’on immortalise à tour de bras des cannibales qui se bouffent, des zombies plein de sang ou des tueurs en série ? Le mot « sulfureux », ça fait de la pub. Peut-être qu’on me perçoit de cette façon en raison d’une production cinématographique française policée… Mais je ne le suis pas. Virginie Despentes, Coluche ou Serge Gainsbourg non plus. Je suis juste un mec sincère dans mes démarches et j’ai eu la chance de rencontrer de bonnes personnes qui m’ont permis de faire les films que je souhaitais faire.
La France serait-elle plus puritaine qu’on le croit ?
Au contraire, elle l’est moins… Mais elle est en revanche plus schizophrène. Avant, il régnait une cohésion beaucoup plus bipolaire avec la gauche, la droite et le centre. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la société française se fragmente comme aux Etats-Unis, que la tension est plus forte que dans les années 70 ou 80. Lesquelles étaient plus paisibles. Chaque communauté est en guerre contre quelque chose ou quelqu’un, les gens ont peur les uns des autres, les tensions et les susceptibilités sont accrues… Regardez les informations qui circulent sur internet… Personne, à part la NSA, n’a les moyens de contrôler ce far-west virtuel. Les jeunes n’allument plus la télé, ne lisent plus de journaux…
Qu’avez-vous envie de dire aux spectateurs qui croient que Love est un film de boules ?
Que Love représente le paradis et l’enfer de l’état amoureux. Il y a quelques séquences de nudité. Mais la finalité du projet n’est pas tant d’émoustiller le public mais de montrer à quel point l’amour est fragile. Mon film est de nature sentimentale, c’est la chronique d’un échec de cœur entre deux personnes qui pensaient vraiment réussir. (Réflexion brève) Tomber amoureux et être dans les bras de la personne aimée vous donnent le sentiment d’être au centre du monde. Plus rien d’autre ne compte. C’est viscéral, physiologique, profond. On ne peut pas se passer de la dopamine dans le cerveau, de la sérotonine, des endorphines. On vit ainsi dans un état altéré et noble de la conscience. Et si on quitte cet état, c’est l’enfer… A l’instar du sevrage du drogué, du junkie… La vie d’Adèle décrivait bien ça, j’ai pleuré devant ce film. Pareil pour Haneke avec Amour. A quelques exceptions, nous sommes tous le fruit de l’amour.
Murphy, le personnage principal, c’est vous, non ?
Je voulais m’identifier un peu au personnage et me projeter dans ce qu’aurait pu devenir ma vie si elle avait basculé à 25 ans. Love a été tourné dans l’urgence. Au moment de chercher les vêtements, j’ai filé in extremis mes chemises à carreaux au comédien principal, Karl Glusman. Je lui ai même passé mon blouson fétiche, le même que celui de Travis Bickle dans Taxi Driver. Il parle aussi de Salo de Pasolini, c’est cool… Murphy est par ailleurs le nom de famille de ma mère. Plus petit, comme je n’aimais pas le mien, je signais souvent Gaspar Murphy. Ça faisait film américain, c’était plus classe (sourire). Plein de gens m’appelait Murphy.
Votre mise en scène s’articule sur des plans fixes. Il y a moins d’envolées formelles que dans Irréversible ou Enter the void… Est-ce une volonté de se réinventer ?
Le film a été pensé pour la 3D. C’était un langage nouveau pour moi. Il y a trois ans, j’ai acheté un caméscope 3D et j’ai beaucoup filmé ma mère qui était malade à ce moment-là. J’ai noté que les mouvements abrupts ne servent à rien. Les images deviennent nauséeuses alors que quand on est sur pied, ça ressemble à un joli théâtre de marionnettes. Le découpage entier du film a été pensé pour le relief. J’ai privilégié les plans séquences et les plans fixes, comme chez Ozu par exemple. Le but était de simplifier mon langage pour m’occuper de ce qui se passe devant la caméra.
Quelle a été votre grande histoire d’amour ?
2001 l’odyssée de l’espace que j’ai découvert à 6-7 ans. Ça a été un choc artistique, un des plus grands shoots de drogue de ma vie. Mes parents n’avaient pas beaucoup aimé et j’ai débattu de cinéma pour la première avec eux.
Propos recueillis par Mehdi Omaïs
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