Et si on foutait la paix à Xavier Dolan ?

xavier

« J’aime la rhétorique, parler, me défendre… », m’a confié Xavier Dolan il y a quelques mois, alors qu’il assurait à Paris la promotion de Mommy, son cinquième long métrage. Mais acceptera-t-il de le faire encore longtemps, du moins aux médias, tant chacun de ses propos fait désormais l’objet d’une fouille archéologique ? Plongé au cœur d’une polémique montée comme une chantilly autour de son absence aux Oscars, le réalisateur québécois a ainsi choisi Twitter – et non une déclaration médiatique – pour manifester hier son mécontentement. « Une phrase de 7 mots est montée d’une certaine manière, sans début, sans fin, et devient une déclaration incendiaire sur les Oscars… » Et d’ajouter : « La chose montée en épingle par @tvanouvelles devient l’objet d’une attention indue et difforme, qui atteste de la pauvreté du journalisme. »

Petit flash-back ! Interrogé il y a peu par la chaîne de télévision canadienne TVA, Xavier Dolan a fait part, très calmement, de sa déception. Il espérait en effet voir Mommy concourir à l’Oscar du Meilleur Film Etranger. Ses propos, posés et sincères, n’exhalent – à moins que je ne sois aveugle – aucune forme de colère ou de fureur, comme en atteste la vidéo publiée sur le site internet dudit média le 9 février. Ils expriment au contraire une forme d’incompréhension à laquelle adhèrent, j’en suis certain, les (très) nombreux fans de son dernier film, porté par trois acteurs en état de grâce. Depuis le Festival de Cannes, où il a remporté le Prix du Jury, les espoirs placés dans ce drame pop sont d’ailleurs légion. Beaucoup espéraient en effet le voir remporter la Palme d’Or. Je faisais partie de ceux-là et je le lui ai même dit. « Ton film mérite la Palme ! ».

Il y a cru… Comme n’importe qui l’aurait fait en lisant la plupart de nos dithyrambes. Y a-t-il un mal à ça ? De nos jours, on s’émeut avec tolérance devant un footballeur qui pleure à chaudes larmes parce qu’il a perdu la finale de la Coupe du Monde. Non ? On dit même : « Oh c’est dur, tous ces mois d’entraînement pour échouer à un doigt du Graal… » En revanche, voilà qu’on rouspète contre un cinéaste qui a mis ses tripes à l’ouvrage et qui voyait grand pour son œuvre. Y a-t-il une différence quelconque entre ces deux exemples, illustration s’il en est de la notion de deux poids, deux mesures ? Non mais sérieux ? Le vrai problème prend finalement racine dans la notion d’ambition. Bien souvent, elle parait suspecte, elle irrite, dérange et attise la méfiance. Xavier Dolan est donc un ambitieux, parfois maladroit verbalement, mais qui a œuvré honnêtement pour toucher du doigt ce rêve du cinéma américain, celui qui l’a biberonné depuis toujours.

Ce n’est certainement pas un hasard si Mommy est construit « selon le paradigme scénaristique américain typique acte 1, acte 2, acte 3, acte 4, résolution du conflit ». Il m’avait d’ailleurs expliqué : « Ce que j’ai le plus compris au fil de ces dernières années, c’est l’importance avant tout de raconter une histoire. Je me suis toujours senti plus proche du cinéma américain, dont le but majeur est de raconter une histoire, que du cinéma asiatique ou européen qui affiche la priorité de la forme. » Alors, oui… Le terme « humilié » est un peu disproportionné, je vous l’accorde. On peut néanmoins accepter sa déception de ne pas figurer dans la short-list des 9 films étrangers pour les Oscars, sans pour autant la commenter tous azimuts (et violemment). C’est en effet « spécial », comme il dit, qu’une œuvre si chaleureusement reçue soit à ce point écartée. « Ce n’était pas le stress de gagner mais le prestige d’être nommé (…) J’en gagnerai d’autres [des oscars] dans la vie ou je n’en gagnerai pas, c’est pas très grave ! », conclue-t-il, pas dupe et avec philosophie, lui qui se savait battu d’avance dans la fastidieuse course à la statuette dorée. Après tout, l’important, c’est de participer non ?

Laissez-moi par ailleurs vous dire, je l’avoue, que j’avais énormément d’a priori sur Xavier Dolan. Je le voyais comme un être prétentieux et suffisant. Jusqu’à ce que je le rencontre, à plusieurs reprises. Là, j’ai vu un artiste déterminé, jusqu’au-boutiste, poli mais aussi flippé et angoissé, qui hésite, se remet en question, accepte « la critique constructive » et dévoie son statut encombrant de « prodige ». En somme, une image bien éloignée de celle qu’on lui étiquette à tire-larigot. « Les gens aiment avoir une vision extrêmement narcissique de moi, pédante, très tête à claque… La vérité, évidemment, c’est qu’ils ne me connaissent pas. Cette vision les arrange, les amuse, peut faire sensation. Je suis en réalité quelqu’un d’assez timoré, qui doute beaucoup, comme la presque totalité des personnalités dont on aime à dire qu’elles sont monstrueuses, imbuvables, arrogantes… (…) Le plus clair du temps, quand on rencontre une de ces personnalités dont il est question, on se dit (il change de voix et minaude) : ‘Il est tout à fait accessible et sympathique, je n’imaginais pas ça !’ ».

Qu’il me semble par ailleurs injuste de lui infliger une énième mise au pilori – certains commentaires sur les réseaux sociaux sont assassins – à quelques jours des César. Espérons que les votants – il y a de la jalousie dans le métier – ne se laisseront pas influencer par cet épisode regrettable. Et penchons-nous sans plus tarder sur les mots de Monica Donati, son attachée de presse Française, postés hier soir sur Facebook : « On se bat tous les jours dans nos métiers pour faire exister des films, des spectacles, des événements, des artistes, des informations. On nous dit souvent et de plus en plus qu’il n’y a pas la place, pas le temps, pas d’intérêt. Il y a en revanche toujours la place pour les conneries, les infos débiles, inutiles et sans fondement. » A méditer (je m’inclus dans cette méditation, rassurez-vous) ! Je pense qu’il serait donc temps de rebooter la machine. De recommencer à zéro. De le délester de ces « génie », « prodige » et autres qualificatifs clé-en-main. Puisse-t-il aborder en toute sérénité le tournage de son prochain film dans lequel il dirigera Jessica Chastain, Susan Sarandon, Kit Harington et Kathy Bates.

Mehdi Omaïs