Fin d’année oblige, l’heure des bilans est venue. Si 2014 a été beaucoup moins excitante que 2013 au rayon des grands films, elle nous aura allégrement régalés en daubes et autres déceptions. Bien sûr, ce qui va suivre relève de la pure subjectivité. Voilà pourquoi j’enfile déjà un gilet pare-balles histoire de contrer les attaques fielleuses.
Commençons par la comédie française qui, à quelques louables exceptions près, continue de nous servir, année après année, des monuments de connerie. Et ce, sans prendre la peine de se remettre en question. Qu’elle revisite le quotidien de la femme supposée moderne (Jamais le premier soir et son trio d’actrices abouliques), la réunion de famille qui tourne au vinaigre périmé (Divin enfant), les affres d’une société droguée, repliée sur elle-même et flippée de tout (Supercondriaque et ses grimaces irritantes) ou la libido de deux grotesques sex-addicts (Tu veux ou tu veux pas), le crash est toujours au rendez-vous. Chers amis producteurs, ce n’est pas en punaisant trois têtes d’affiche (pseudo) bankables que vous redorerez le blason d’un genre en déréliction. Là, dehors, juste à côté, il y a des scénaristes qui ont des envies et du talent. Tendez l’oreille car, tant qu’elles seront pas/mal écrites, les comédies hexagonales ne pourront jamais se départir de leur médiocrité rampante.
Restons en France et dirigeons-nous vers une autre catégorie non qualitative : le film policier. Souvenez-vous de 96 heures, polar au rabais dans lequel Frédéric Schoedoerffer passe les clichés à la moulinette. Gérard Lanvin et Niels Arestrup, plus caricaturaux que jamais, y incarnent des archétypes sur pattes. Que dire du Dernier diamant, film de braquage lourdingue qui n’a pas plus d’éclat qu’une pacotille. Un bijou de zéro carat porté par les médiocres prestations d’Yvan Attal et Bérénice Bejo, aussi peu crédibles que Freddy Krueger dans un péplum. Un peu plus éloigné du polar, Ablations d’Arnold de Parscau (chouchou de David Lynch) nous conte de manière épouvantablement clinique les turpitudes d’un homme dont on a volé le rein. Sans suspense ni rythme, le récit épouse le grand-guignolesque jusqu’à vous refiler des calculs rénaux. Enfin, dans le genre fantastique pur et dur, Dark Touch de Marina de Van rate son portrait de fillette traumatisée avec son symbolisme de bas étage, son traitement psychologique faiblard et ses bras cassés d’acteurs.
Dans un registre plus dramatique, où la France s’en sort souvent avec les honneurs, quelques sorties de piste sont à déplorer. A commencer par Piégé de Yannick Saillet dans lequel le sergent Denis Quillard (mais qu’est-il arrivé à Pascal Elbé ?) pose le pied sur une mine russe à double détente en plein désert afghan. Viandage en règle également pour Emmanuelle Mouret avec sa love story entre JoeyStarr et Jasmine Trinca dans Une autre vie. Un mélo risible dont on ressort hagard. Moins raté, Une promesse de Patrice déploie néanmoins un académisme de tous les instants qui neutralise systématiquement le récit ; celui de la romance tourmentée entre un jeune homme et l’épouse de son patron mourant. Je n’ai pas non plus été cueilli par De toutes nos forces de Nils Tavernier, qui scanne les rapports (sur fond de triathlon) entre un jeune homme handicapé et son père taciturne, incarné par Jacques Gamblin. Les bonnes intentions ne font pas toujours les bons films. Electron libre au cœur d’un cinéma formaté, Alain Resnais m’a par ailleurs asphyxié par un minimalisme repoussant dans Aimer, boire et chanter. De quoi se sentir totalement exclus de ce rendez-vous intime et verbeux.
Je réalise en cours d’écriture qu’il y a beaucoup de films français dans ce bilan. Raison pour laquelle je suis obligé d’ouvrir un nouveau paragraphe pour aérer mes propos. On enchaîne donc avec trois déceptions retentissantes. 1. Vie Sauvage de Cédric Kahn : s’il fait le choix judicieux de ne pas se poser en juge ou en donneur de leçons, le réalisateur peine à conférer à ses personnages, notamment aux gosses, mal dirigés, la profondeur qu’ils méritaient. 2. Qu’Allah bénisse la France d’Abd Al Malik : malgré une mise en scène soignée et une photo assez épatante, le chanteur ne convainc pas avec cet autoportrait qui ferme les esprits à défaut de les ouvrir. 3. The Search de Michel Hazanavicius : peut-être trop fortement houspillé à Cannes (violence imméritée), ce drame sur la guerre de Tchétchénie joue sur trop de cordes – une chargée de mission pour l’ONU, un gamin orphelin, un soldat – pour trouver un ton harmonieux et juste. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas reprocher à ces trois messieurs de ne pas avoir tenté.
Quittons maintenant notre territoire pour un petit tour du monde ! Escale numéro 1 : Israël où Eytan Fox, qui nous avait habitués à de jolis chocs, s’est royalement planté avec Cupcakes, une comédie chantante, colorée et indigeste gravitant autour d’une bande d’amis à Tel-Aviv. Escale numéro 2 : l’Ukraine avec les aventures sombres et implacables de jeunes sourds muets impliqués dans des trafics illicites et la prostitution. Avec The tribe de Myroslav Slaboshpytskiy, on nous promettait une expérience organique. Faux : il n’y a que de l’ennui et de l’indifférence (je viens de prendre une balle, heureusement que j’ai un gilet). Escale numéro 3 : la Norvège et ses décors givrés sur lesquels s’appuie Hans Petter Moland dans Refroidis. Soit la croisade vengeresse d’un homme fou de rage qui, après l’overdose criminelle de son fils, enfourche son chasse-neige pour démolir les responsables. Résultat ? Humour de répétition éreintant. Escale numéro 4 : le Japon de Naomi Kawase. Dans Still the water, l’expérience sensorielle a dû être probante pour ceux qui sont parvenus à nager sur le sillage des personnages. Pour les autres, difficile de ne pas réprimer un bâillement devant les incessants silences, porteurs a priori de vertus exceptionnelles. Toujours au pays du soleil levant, Hayao Miyazaki m’a perdu avec le trop contemplatif Le vent se lève, porté par un personnage principal morne et antipathique. Escale numéro 5 : la Chine qui a remporté cette année l’ours d’or avec Black Coal de Yi’nan Diao, une œuvre plastiquement saisissante mais dont les circonvolutions narratives sont d’un ennui sépulcral (je viens de me faire entarter par la critique française). Et comme je suis kamikaze je propose Leviathan d’Andrey Zviaguintsev. Escale numéro 6 donc en Russie avec des problèmes terriens rasants quelque part au bord de la mer de Barents. Soyons clairs : les films en question ne sont pas des daubes. Loin de là. Mais d’excellents somnifères s’il vous manque du Lexomil ou de l’Atarax.
Outre Atlantique, l’addition est également très salée et l’agacement omniprésent. Il y a de la rage avec le remake crétin d’Old Boy concocté par un Spike Lee qui devrait balayer devant sa porte au lieu de chercher des poux à la profession. Du dépit face à Un amour d’hiver, ses acteurs cabotins (Colin Farrell en tête), ses effets spéciaux kitschissimes, ses décors en carton-pâte et ses répliques à dormir dans un igloo sans peau de bête. De l’abasourdissement en entrant dans la Vampire Academy, comédie pour jeunes décérébrés sang pour sang nulle à chier des canines. De l’étonnement devant les bêtises respectives de I, Frankenstein, soutenu par un Aaron Eckhart ridicule, et The Giver, fier de son futur lointain qui déboite la rétine. Il y a aussi Un amour sans fin sur un coup de foudre chiantissime entre une fille de la haute société et un garçon supposé charismatique. Annabelle et ses trois efficaces jump scare, perdus dans une intrigue dont l’imbécilité est vieille comme le monde. Ninja Turtles qui, à l’exception d’une probante course-poursuite dans la neige, s’offre comme un reboot paresseux, opportuniste, sans proposition artistique qui vaille. American Bluff - putain qu’il m’a soulé ce film -, ses acteurs frisottants et balourds, son scénario zzzzz et sa prétention XXL. Moins irritants mais tout aussi mauvais, on convoque l’écolo-con Night moves, la bluette torturée et boisée à deux neurones Serena, le thriller plein de naphtaline Secret d’état (le récit est pourtant édifiant), l’indépendant et « je me la pète » Everyone’s going to die, l’idylle identitaire et apathique Arthur Newman, la quasi mort artistique de ma bienaimée Nicole Kidman avec le sordide Avant d’aller dormir ou enfin le fantomatique Balade entre les tombes dans lequel Liam Neeson fait du Liam Neeson.
Pêle-mêle, j’ajoute à cette énumération qui commence à se faire longue la Grace de Monaco sans grâce d’Olivier Dahan, les enfants désargentés et moralisateurs de Stephen Daldry dans Favelas, la platitude mécanique d’A la vie de Jean-Jacques Zilbermann, l’interminable déroulement du bien nommé Beaucoup de bruit pour rien, Fabrice du Welz qui ne dépasse pas l’exercice de style lassant sur Alleluia ou Feo Aladag qui passe à côté de son deuxième film Entre deux mondes après l’excellent L’étrangère. Pour conclure, je m’attaquerai enfin au vrai foutage de gueule de 2014 : Adieu au langage de Jean-Luc Godard, grand monsieur qu’on est supposé respecter séculairement. Malgré sa très courte durée – 1h10 –, ce fourre-tout filmique semble en réalité s’étaler sur une atroce éternité, laquelle est ponctuée de citations d’auteurs, d’aphorismes et de pensées syncopées. Soit autant de pistes réflexives qu’il est peut-être le seul à comprendre. Son montage épileptique et ses variations sonores assassines n’arrangent par ailleurs rien à l’affaire. Au lieu de nous éclairer sur les messages cachés et abscons, ils ne font que parasiter la lecture de cette expérimentation prétentieuse. Que dire de l’usage de la 3D ? Pour son premier film en relief, l’auteur d’A bout de souffle corrompt nos nerfs optiques pour nous envoyer, séance tenante, chez l’orthoptiste. Souvent illisibles, les scènes se succèdent sans logique pour le commun des mortels, à moins d’avoir fumé un sequoia avant la séance. Voilà, c’était un peu long mais cette conclusion me plait. Je vous embrasse et vous dis à très vite pour les meilleurs moments de 2014.
Mehdi Omaïs
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