De Dan Gilroy avec Jake Gyllenhaal, Rene Russo et Riz Ahmed
Wee-Gee était un photographe au talent fracassant. Un fantôme de la nuit qui, dans le New York des années 1940 à 1960, arpentait les rues à la recherche du cliché parfait. C’est ainsi qu’il se retrouva, plus d’une fois, sur les scènes sordides de crimes crapuleux, d’accidents de voiture sanglants et autres drames urbains. Il en tira des photos impressionnantes, exposées en 2007 au Musée Maillol de Paris. Des années après sa mort, voilà que le héros de Night Call revendique, toutes proportions gardées, une certaine filiation avec son œuvre. Impossible en effet de ne pas penser à Wee-Gee dans les arabesques nocturnes de Lou, un coyote solitaire dont la silhouette n’émerge qu’au crépuscule. Précautionneux, rigide, froid comme une sorbetière, ce touche-à-tout galère à trouver un boulot. Quand il est témoin d’un crash routier, le déclic opère. Il se retrouve devant l’équipe de tournage d’une chaîne locale dépêchée pour filmer l’horreur. La décision est vite prise : Lou achètera lui aussi sa caméra et se démerdera (souvent aux dépens de sa vie) pour être aux premières loges des futures tragédies. Dès les premières images, cartographiant Los Angeles comme Drive avant lui, Night Call déploie une plasticité sidérante grâce au concours de Robert Elswit, chef-opérateur attitré de Paul Thomas Anderson. Dans un écrin sublime et funeste, le réalisateur Dan Gilroy (le frère de Tony) plante sa caméra comme un poignard dans notre société voyeuriste. Au même titre que ces chaînes tv qui se repaissent de la violence pour séduire les annonceurs, le scénario de ce brûlot s’attaque également à notre responsabilité de citoyen. Et épingle notre désir (enfoui et honteux) d’affronter l’ignoble, d’apercevoir l’indicible, comme Amenabar le démontrait si bien dans la première scène de Tesis. Car oui, c’est avec une jouissance culpabilisatrice que l’on suit Jake Gyllenhaal dans sa croisade sensationnaliste. Pire, on développe petit à petit une réelle empathie pour son personnage ténébreux et, à l’image d’un Dexter ou autre Walter White, l’envie qu’il triomphe supplante son indécence et son irrespect. A ce jeu, le comédien américain, délesté de neuf bons kilos, crève l’écran et construit un anti-héros en passe de devenir culte. Sans cabotinage, il fait de Lou le monstre d’égoïsme que nous avons créé de toute pièce. Cette créature pour laquelle l’horreur, qu’il immortalise avec le cynisme de notre époque, n’a plus de couleurs. Entre thriller de haut vol et satire à la causticité décapante, Night Call est un excellent film qui nous vomit à la gueule les germes qu’on a nous-mêmes plantés.
Mehdi Omaïs
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