De David Robert Mitchell avec Maika Monroe, Keir Gilchrist et Daniel Zovatto
Il suffit d’une séquence d’ouverture éblouissante, dont la perfection formelle frise l’insolence, pour comprendre qu’It Follows dépasse les frontières du film d’horreur générique. Ceux qui rêvent d’un scénario en pilotage automatique, avec option « clichés en cascade » et « chemins imposés », peuvent donc rebrousser chemin. Sur une trame pourtant très classique – des adolescents lambda se refilent un fléau par rapports sexuels -, le cinéaste David Robert Mitchell, auteur du remarqué The Myth of the American Sleepover, explore ici intelligemment le potentiel horrifique des MST (maladies sexuellement transmissibles). Ces pathologies, il leur donne des apparences multiples, troubles, et opère un décalage bienvenu avec le réel, orientant son œuvre vers des contrées cauchemardesques et fantasmagoriques. Puisant sa substantifique moelle dans les œuvres de Roman Polanski, David Cronenberg, John Carpenter ou Alfred Hitchcock, dont il lisait les entretiens, sa mise en scène ne se contente pourtant jamais d’être un succédané des maîtres précités. Mitchell parvient en effet à digérer ces influences pour les réinventer à coups de plans d’une beauté confondante. Barrant la route aux jump-scares avariés, ce grand cinéaste en devenir excelle dans la profondeur de champ et le hors champ, dispositifs imparables qui induisent une peur blanche constante. Comme chez Michael Haneke, ce qu’on ne voit pas effraie bien plus que ce qui apparait. Ici, la peur du sursaut est (presque) annulée. On est un cran au-dessus, dans la terreur blanche et insidieuse, qui trône en impératrice jusqu’à la dernière minute, le temps d’une scène de piscine aussi réussie que celle du Morse de Tomas Alfredson. Non avare en métaphores (certains y voient les réseaux sociaux, d’autres le Sida…) et en messages subliminaux, ce trip atmosphérique évite à chaque carrefour d’emprunter la bretelle de la facilité. Chacun de ses plans est une histoire à lui seul. Chaque procédé de réalisation séduit. Il n’y a pas d’afféterie. Rien ne dépasse. Rien n’est à enlever. Au-delà d’un renouvellement du genre, It Follows est une sorte d’opéra horrifique, éthérée et inespéré. Pas étonnant que le Festival de Gérardmer lui ait accordé sa plus haute distinction. Plus qu’un film culte, nous tenons un chef-d’oeuvre.
Mehdi Omaïs
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