A l’heure où j’écris ces mots, je n’ai toujours pas achevé le visionnage de la seconde saison de Sense8. Oui, à défaut de la binger avec fureur, j’ai consenti à la déguster. Lentement, sûrement, ne serait-ce que par respect pour la patience dont il a fallu faire preuve le temps de sa concrétisation sur nos chères lucarnes. Je frémissais déjà, vertigineusement, rien qu’en imaginant l’attente qui se profilerait jusqu’à la prochaine saison. Du coup, sans surprise, comme vous autres (amis sensitifs-friendly), j’ai pris une véritable gifle en apprenant que Netflix, qui avait eu l’audace d’accueillir ce show sous son ciel étoilé, préférait en rester là. A l’endroit même où des centaines de milliers de fans (avides de pétitions) convergent désormais, hagards, avec désolation, déception et amertume.
Evidemment, ce n’est pas la première fois dans l’histoire de la télévision qu’une série est annulée sans préavis. Evidemment, la Terre se réchauffe et la guerre fait rage ici-et-là. Evidemment, l’intolérance secoue et le sectarisme se maintient. Et bien justement ! Face à ce monde de plus en plus déliquescent, inquiétant et enténébré, Sense8 proposait une vision de l’humanité alternative, moins déliquescente, moins inquiétante et moins enténébrée. Un monde au tumulte arc-en-ciel, à la beauté sidérante, à l’énergie expansive et communicative. J’ai follement aimé ses huit héros, unis dans leur quête commune, si beaux dans leur singularité, si inspirants dans l’adversité. Dos au mur comme vent en poupe, leur élan m’a porté.
Avec Sense8, les sœurs Wachowski ont eu l’espace et la liberté temporelle de bâtir un univers à la hauteur de leur génie créatif. L’occasion pour elles d’aller encore plus loin que Cloud Atlas ou Jupiter Ascending, en enfantant un magnifique ordre nouveau qui trouve tout son sens à la lumière d’une mise en scène tellurique. Là où les networks US recyclent les concepts à tire-larigot, piochant dans les milieux judiciaires, médicaux, policiers ou carcéraux, Netflix affirmait clairement sa différence en adoptant ce récit hors normes. Et proposait à ses abonnés une expérience totalement inédite, basée sur une narration n’ayant, de mémoire, pas ou peu d’équivalent. Soyons-en certains : Nomi, Will, Riley, Capheus, Sun, Lito, Kala et Wolfgang ont composé l’une des plus belles mosaïques planétaires. Ils ont non seulement rappelé combien l’union fait la force –surtout quand la peur veut tout cancériser et détruire– mais nous ont surtout bouleversés en vivant, ensemble, de concert, d’enivrantes expériences intellectuelles et sensorielles. La séquence où ils entonnent What’s up des 4 Non Blondes en est le meilleur exemple. Impossible d’effacer de sa mémoire cet instant où ils ne font plus qu’un, d’Inde en Allemagne, des Etats-Unis au Kenya. Cet instant suspendu et stratosphérique où ils basculent tous dans un espace commun et confortable, hurlant « from the top of my lungs, what’s going on ? »
Justement : what’s going on Netflix ? D’accord, on vous accorde que Sense8 coûte beaucoup plus chère que 13 reasons why ou Stranger Things. Que le tournage aux quatre coins du globe est ardu. Mais pourquoi si vite ? Pourquoi comme ça ? En coupant les ailes de ce bel oiseau couleurs du monde, vous vous fourvoyez, vous éloignant sans la moindre délicatesse d’une grosse communauté d’abonnés. Sense8 avait su fédérer des fans qui trouvaient dans sa folie un refuge, un lieu où tout le monde s’aime d’office, sans jugement, sans méfiance. Au-delà de ses décors à couper le souffle, de sa BO aux petits oignons, de son casting attachant, cette série a en effet la force précieuse de booster, d’inspirer. Elle donne envie d’aimer, de rencontrer, d’essayer, de se dépasser, dans un torrent de coloris, de sons, de bienveillance et de sensations. Il y avait clairement un espoir vivifiant qui battait dans ce grand cœur que partagent les sensitifs. Un grand cœur de tolérance qui a peut-être cessé de battre pour vous. Mais pas pour nous.
Mehdi Omaïs
Leave a reply Cancel reply
You must be logged in to post a comment.