En mai dernier, Xavier Dolan dynamitait le Festival de Cannes avec Mommy, un cinquième long métrage sublime couronné par le Prix du Jury (ex aequo avec Adieu au langage de Jean-Luc Godard, ndlr). Comme à l’accoutumée, le cinéaste québécois, qui réprouve formellement l’étiquette de (jeune) génie qu’on aime lui apposer sur le front, a fait de la figure maternelle le centre de toutes les attentions. Ici, la Mommy s’appelle Diane. C’est une veuve monoparentale qui récupère la garde de son fils après qu’un établissement l’a viré pour sa violence pavlovienne et son hyperactivité. De passage à Paris pour une promotion marathon, Dolan s’est livré sur ce projet et sur lui-même avec générosité et sensibilité.
Des milliers d’adjectifs ont été utilisés pour te qualifier. Quels sont ceux qui t’agacent le plus ?
Les adjectifs qu’on utilise pour me décrire ne me font pas chier. En revanche, ce qui m’énerve, c’est quand on me demande d’y réagir. Les questions du genre : « Comment se sent-on quand on est un enfant prodige ? ». Qu’est-ce que, moi, je peux répondre à ça ? Est-ce que vous pensez que je me sens comme un enfant prodige ? Les gens aiment avoir une vision extrêmement narcissique de moi, pédante, très tête à claque… La vérité, évidemment, c’est qu’ils ne me connaissent pas. Cette vision les arrange, les amuse, peut faire sensation. Je suis en réalité quelqu’un d’assez timoré, qui doute beaucoup, comme la presque totalité des personnalités dont on aime à dire qu’elles sont monstrueuses, imbuvables, arrogantes… (Réflexion) Le plus clair du temps, quand on rencontre une de ces personnalités dont il est question, on se dit (il change de voix et minaude) : « Il est tout à fait accessible et sympathique, je n’imaginais pas ça ! ». C’est comme les critiques qui ont écrit pendant des années que je regardais les films de Godard et d’Almodovar et qu’il fallait que j’arrête de les copier. Je n’ai vu ni l’un ni l’autre !
Quel regard portes-tu sur Godard, avec qui tu as partagé le Prix du Jury à Cannes ?
J’ai un respect pour son personnage, sa liberté artistique, pour ce qu’il est, pour ce qu’il représente en termes d’innovation. Cela dit, je n’ai ni d’amour ni d’intérêt pour son travail.
Après quatre films (J’ai tué ma mère, Les amours imaginaires, Laurence Anyways et Tom à la ferme, ndlr) sur lesquels tu as beaucoup expérimenté, on a l’impression que Mommy ressemble à ce qui sera désormais ton cinéma…
Tout à fait. C’est exactement ça ! La vie est faite de films dont certains sont des exercices à part comme Tom à la ferme et Les amours imaginaires. Mes trois longs métrages qui se ressemblent le plus émotionnellement sont les impairs : J’ai tué ma mère, Laurence Anyways et Mommy. Ce sont les plus latins, intenses et expansifs, ceux qui prétendent à une émotion, à une incarnation, à une générosité formelle. Evidemment, Laurence Anyways est moins dédié à l’équilibre entre la forme et le fond. Les amours imaginaires est entièrement consacré à la forme, c’est un objet d’art libre, un film sur le hipsterrisme, la cristallisation de notre époque, c’est presque un essai. Donc oui, Mommy est le style de cinéma vers lequel je veux m’acheminer. C’est surtout le film que j’ai toujours voulu faire. N’ayant aucune formation, la seule façon d’apprendre à m’améliorer était de me tromper. Il y a des films mal intentionnés, malveillants. Je n’en ai jamais faits de cette façon mais toujours avec un dévouement au romantisme et à l’amour. Il faut essayer, tenter. Quand tu regardes l’œuvre de Matisse, il y a des choses moins fortes que d’autres et c’est pourtant le plus grand coloriste qui soit. (Réflexion) Ce que j’ai le plus compris au fil de ces dernières années, c’est l’importance avant tout de raconter une histoire. Je me suis toujours senti plus proche, malheureusement, du cinéma américain dont le but majeur est de raconter une histoire, alors que le cinéma asiatique ou européen affiche la priorité de la forme. Les films que j’aime le plus sont ceux qui racontent une histoire plus savamment. A chaque plan et à chaque scène de Mommy, on se disait : histoire, histoire, histoire… personnage, personnage, personnage, personnage… et émotion ! La mise en scène n’a jamais été ma priorité. J’aime le jeu des acteurs.
Tes films explorent constamment les relations mère-fils, comme dans Mommy où un jeune homme violent et hyperactif rend la vie difficile à sa génitrice. Pour toi, c’est quoi une bonne mère ?
(Long silence) C’est la pire question qu’on ne m’ait jamais posé en ce sens où elle est très intelligente… Franchement, je peux peut être écrire des rôles de mères, me projeter dans leurs peaux. J’aime le faire, je l’avoue, ça me fascine, ça m’amuse, ça m’inspire. Mais je ne vais pas répondre à ta question. Je n’en ai aucune idée. C’est ma réponse.
A l’inverse, comment définirais-tu un bon fils ?
C’est avoir la maturité, très tôt dans sa vie, de comprendre ce que représente l’étendue des sacrifices qu’une mère peut faire pour bien élever son enfant au mieux de ses capacités, de ses moyens, de ses ressources intellectuelles, financières et émotives. Il faut comprendre qu’une femme a deux vies : celle de jeune femme et celle de mère. Il y a entre les deux une petite mort, l’enterrement de projets, d’amours, de désirs, de rêves.
L’amour, quelle qu’en soit la forme, est-il un passeport pour la souffrance ?
Je ne sais pas… Au cinéma, je pense que c’est… (Une poussette tombe au loin. Xavier blêmit. Heureusement, il n’y avait pas de bébé à l’intérieur). J’ai eu peur ! (Il se reprend) Si tu remarques, j’ai toujours parlé dans mes films de relations éphémères qui collent bien aux structures narratives du cinéma. J’aime beaucoup aborder des personnages qui se battent pour leur liberté, leurs idéaux… mais souvent, la vie les écrase, les fait perdre. J’aime les fins fortes, intenses, remuantes. C’est ça la vie. Les gens s’utilisent sans pour autant être des salauds. La voisine de Mommy a une vie lisse, viciée par la mort, et se retrouve attirée par ceux qui habitent en face. Aller vers eux, c’est s’affranchir.
Tu dis aimer mettre en scène des gens ordinaires. Et toi, te considères-tu comme quelqu’un d’ordinaire malgré ton destin extraordinaire ?
Oui, assez. Mais mon rythme de vie déteint sur moi. Je n’ai pas changé fondamentalement mais je ne peux pas non plus te dire que je me trouve profondément ordinaire. J’aime néanmoins les plaisirs ordinaires : sortir avec mes amis, être seul chez moi, dans mon lit, regarder Captain America à la télé, défaire le système d’alarme, me mettre devant l’ordi, me branler devant un peu de porno, commencer un livre et l’arrêter parce que ça me fait chier, me défoncer la gueule avec des amis au bar… Tous ces plaisirs dont je suis délesté par mon rythme de vie.
Filmer, est-ce un moyen de communiquer moins douloureux que la parole ?
La parole n’est pas douloureuse car j’aime la rhétorique, parler, me défendre… C’est juste plus total comme expérience. C’est comme si je mettais deux ans à préparer une phrase. Le cinéma est multi-dimensionnel, multi-sensoriel… et n’impose aucune limite.
Quel serait pour toi le Graal absolu ? Diriger Leonardo DiCaprio ?
Ben non… Tu te trompes de protagoniste (Xavier Dolan est fan de Titanic, ndlr). Je rêverais de diriger Kate Winslet ! Ça serait le Graal absolu, ça va arriver j’espère. L’avoir devant ma caméra serait fou.
Propos recueillis par Mehdi Omaïs avec le concours de Metronews
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