En 1984, Tim Burton réalisait « Frankenweenie », un court métrage en prises de vues réelles. Plus de 25 ans après, le cinéaste le plus génialement gothique du globe réédite l’expérience avec une œuvre sublime en stop motion. Soit l’histoire de Victor, un petit garçon taciturne et sans amis, qui ressuscite son chien chéri grâce à ses dons scientifiques. De passage à Paris, Tim Burton s’est confié sur ce long métrage, l’un de ses plus personnels. L’occasion pour le papa de « Beetljuice » et « Edward aux mains d’argent » de replonger dans son enfance et de revenir sur les œuvres qui l’ont influencé. Focus !
25 ans que vous rêvez de mettre en scène « Frankenweenie » de cette façon, en stop motion. Pas trop long comme attente ?
Je n’y ai pas pensé de cette manière. Après avoir réalisé le court métrage, j’ai mis le projet de côté pendant des années jusqu’à ce que je retombe sur les dessins originaux. J’avais alors déjà travaillé sur quelques films en stop motion. Du coup, j’ai eu le sentiment que je pouvais renouer avec « Frankenweenie ». Ça en devenait presque un nouveau projet.
Qu’apporte la technique du stop motion à votre film ?
Ça apporte de l’émotion et ça permet de bien voir le travail fait main. Les gens en ont un peu marre des films entièrement conçus par ordi même si on y fait de superbes choses. (Il regarde en l’air pour réfléchir) Quand la technologie a explosé à l’époque où j’étais chez Disney, ils ont décidé qu’il n’y aurait plus de dessins dans les films. J’ai trouvé ça tellement triste.
Mais vous étiez quand même libre à l’époque, non ?
Oui, je ne vais pas me plaindre. Pendant des années, j’ai pu dessiner ce que je voulais dans mon coin sans que personne ne vienne m’importuner. Vous savez, Hollywood a tendance à laisser tomber la stop motion ou le dessin devant ce qui peut se faire informatiquement. Heureusement, des choses se font encore. Il ne faut pas perdre de vue que toutes les formes d’animation sont intéressantes suivant l’histoire que vous avez à raconter. Chaque mode a son charme.
Quel regard portez-vous sur la 3D et son utilisation ?
J’ai vu des films tournés en 3D bons et mauvais. Des conversions en 3D bonnes et mauvaises. Personnellement, je trouve que quand on a le temps de convertir, c’est préférable. On peut s’appliquer sur la profondeur notamment. Tourner en 3D prend plus de temps et n’est pas nécessairement qualitatif. J’ai choisi ici le relief parce qu’il met en valeur le travail de tous ceux qui ont participé à l’aventure. On voit mieux les textures et le travail abattu. Par ailleurs, j’aime que les gens puissent être libres de choisir entre 2D et 3D.
« Frankenstein » de James Whale est non seulement une grosse influence sur « Frankenweenie » mais il s’agit également d’un de vos films cultes. Pourquoi l’aimez-vous à ce point ?
J’aime plus généralement les films de monstres comme « King Kong », « La belle et la bête » ou « La créature du lac noir ». On y parle de créatures incomprises qui ressemblent à des monstres, qui sont traitées comme tels mais qui ne le sont pas. L’émotion qui se dégage de ces films me touche. Je me sens proche d’eux et j’ai de l’empathie pour eux. Frankenstein n’est pas le monstre, c’est pour ça que j’aime ce film. Il y a de la pureté chez James Whale. Personne n’est pointé du doigt. Il n’y a pas de méchants. Psychologiquement, tout le monde est intéressant, les villageois, le savant, le monstre…
Enfant, vous aviez un chien qui s’appelait Pepe et vous étiez très proche de lui. Est-ce qu’on peut considérer que, d’une certaine façon, Victor, le héros du film, c’est vous ?
Oui, il y a beaucoup d’émotions et de souvenirs personnels qui sont dilués dans « Frankenweenie ». Quand j’étais petit, je voulais être un savant fou. J’adorais faire des films en super 8…
Aviez-vous carte blanche sur ce projet avec Disney ?
Oui, absolument. Je leur suis reconnaissant. Un film en noir et blanc, c’est dur à vendre en plus. Il faut savoir que ce n’est pas non plus un film très coûteux par rapport à d’autres films d’animation. Ils n’avaient pas la même pression sur « Frankeweenie » que sur d’autres projets. J’étais libre. Ils ont respecté ce récit qui m’est très personnel.
Vos films parlent toujours de la mort, souvent enjolivée par rapport à la vie. Est-ce un moyen de l’exorciser ? En avez-vous peur ?
C’est le mexican way (rires) ! Dans ma culture, la mort est taboue, il ne faut pas en parler. De leur coté, les mexicains en discutent facilement avec humour, couleur, émotions. Je me sens proche d’eux, attiré. C’est la bonne façon d’y penser. De toutes les manières, elle arrive à tout le monde. Un ami vient de mourir, c’est horrible, c’est vrai. Mais que voulez-vous ? C’est la vie. J’aime les cultures qui envisagent la mort d’une façon plus lumineuse.
Si vous pouviez ramener quelqu’un ou quelque chose à la vie, ce serait quoi ou qui ?
Je ne le ferai pas (rires). C’est un peu flippant. Dans le film, l’idée est plus de laisser un sentiment vivant plutôt qu’une personne ou un chien. Il s’agit d’une sorte de fantasme. Dans la réalité, qui sait, peut-être qu’un jour on en viendra à ça mais personnellement je trouverais l’initiative bizarre.
Peut-on considérer « Frankenweenie » comme un hommage à votre cinéma ? On y trouve tout ce qui fait votre patte…
Je comprends que vous puissiez penser cela… Mais je ne me suis pas dit que je vais piocher un peu de ci et un peu de ça dans chacun de mes films (rires). Beaucoup d’éléments du récit sont des choses que j’aime. Il y a mes obsessions dedans. (Réflexion) Mon style de dessin est limité. Je ne peux pas le changer. En tant que personne et cinéaste, je ne peux pas changer ma touche. Je suis comme je suis. « Frankenweenie » est un film de souvenirs.
Vos enfants ont-ils les mêmes goûts que vous ?
(Rires) Mon fils aime dessiner des monstres donc c’est cool.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Mehdi Omaïs
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