C’est probablement l’un des réalisateurs indépendants américains les plus excitants de sa génération. Après avoir signé le culte The Doom Generation, le traumatisant Mysterious Skin ou le fluorescent Kaboom, Gregg Araki s’est assagi avec White Bird, son nouvel opus en salles ce mercredi. Shailene Woodley y incarne une jeune fille qui découvre l’éveil à la sexualité au moment atroce où sa mère, campée par Eva Green, disparaît étrangement. Lors de son passage au Festival du Film Américain de Deauville, le cinéaste de 54 ans (on lui en donne 30 !) s’est confié sur ce projet avec son immuable affabilité.
White Bird est inspiré d’un roman de Laura Kasischke. Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette œuvre ?
Plusieurs aspects à vrai dire… Laura est une auteure exceptionnelle. Un peu comme pour Mysterious Skin (roman de Scott Heim qu’il a porté à l’écran en 2004, ndlr), que j’aime pour les mêmes raisons, j’y ai entrevu quelque chose de poétique et mystérieux. J’ai trouvé l’histoire profondément belle. Elle m’a hanté. Je lis énormément et c’est rare de tomber sur un texte qui me passionne au point d’en être amoureux.
C’est votre troisième adaptation de livre sur grand écran. Est-ce un exercice qui vous plait ?
Oui, j’adore ça. C’est différent d’un scénario qu’on a écrit soi-même. J’aime appliquer mon style cinématographique et ma vision à l’histoire de quelqu’un d’autre. Même si les choses restent souvent balisées par l’auteur, il y a ce défi excitant de créer sur la structure originelle.
A la lecture, comment avez-vous perçu Kat, l’héroïne ?
Je la vois comme une jeune femme qui arrive à un âge où elle part à sa propre découverte. Surtout celle de sa sexualité. Et cela se fait dans un contexte où tout va à vau-l’eau puisque sa mère vient de disparaître. A travers ce personnage, il y a de très nombreuses explorations, comme par exemple celle de la famille américaine, la relation mère-fille, le comportement d’une maman face à son inéluctable vieillissement… Je trouve intéressante cette situation où Kat éclot au moment où sa mère, d’une façon métaphorique, se fane. Et tous les effets que cela induit. L’histoire est très riche et contient de multiples strates.
C’est effectivement un récit à tiroirs assez inclassable. Il échappe à l’étiquette des genres. Comment avez-vous travaillé pour obtenir le bon ton ?
Adapter un livre ressemble pour moi à un montage. Quand je monte un film, j’ai tous ces rushs épars qu’il faut reconstituer, en éliminant ce qui ne sert à rien, afin de trouver l’essence-même que l’on voulait insuffler à notre film. Pour un livre, on est face à des centaines de pages qu’il faut réduire à 90 minutes sans rien dénaturer. Ici, au regard de la complexité de l’histoire et des personnages, c’était difficile. Cela dit, tout est tellement cinématographique chez Laura Kasischke que ce n’était pas non plus insurmontable.
Vous sentez-vous, d’une façon ou d’une autre, proche de l’héroïne ?
Oui même si le livre adopte un point de vue très féminin. Il s’agit d’une expérience de femme. Cela dit, j’ai eu envie d’être plus connecté à elle et c’est peut-être pour ça que j’ai resitué l’intrigue dans la Californie des années 80. Je l’ai rapprochée de mon propre vécu et y est instillé un peu de moi.
Pourquoi avez-vous choisi Shailene Woodley dans le rôle principal ?
Elle est extraordinaire et son succès actuel ne m’étonne absolument pas. Elle le mérite. On a eu de la chance de l’avoir. On a filmé White Bird avant Divergente et Nos étoiles contraires et juste après The Spectacular Now. Elle a beaucoup bossé depuis. Désormais, elle est populaire et permettra à ses fans, qui ne savent pas vraiment qui je suis, d’aller voir le film (rires).
Vos longs métrages parlent souvent de la jeunesse et de la difficulté de devenir adulte. Pourquoi ce sujet vous fascine-t-il autant ?
(Rires) En France, tout le monde me pose cette question alors qu’il n’y a qu’une partie de mes films qui s’intéresse à la jeunesse.
Certes, mais vous l’êtes quand même, non ?
Je dirais que souvent dans mes films, ou dans ceux des autres à l’instar d’American Beauty ou Ice Storm, la jeunesse est un moyen de parler d’autres sujets, parfois sombres. Comme par exemple le côté sous-jacent et insidieux d’une vie de banlieue soi-disant tranquille. Alors oui, je parle de l’adolescence ou de la jeunesse, mais il s’agit plutôt d’un paramètre pour aborder d’autres choses.
Vos films sont visuellement très identifiables. Soignez-vous la « patte Gregg Araki » si tant est qu’il y en ait une ?
Je suis très précis sur le style visuel de chaque réalisation. J’en parle beaucoup en amont avec le directeur de la photo, de l’ambiance, des couleurs… Je parle aussi des références utilisées. Je fais des films formalistes, comme si Wong Kar Wai croisait Douglas Sirk (rires). Sur White Bird, il y a cela dit moins de recherches visuelles que dans Mysterious Skin ou Kaboom. Plus jeune, je ne l’aurais sûrement pas filmé ainsi. Il est plus sobre.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Mehdi Omaïs
Suivez les Cinévores