François Ozon est probablement l’un des cinéastes les plus prolifiques de l’hexagone. Après Dans la maison (2012) et Jeune et Jolie (2103), l’intéressé revisite avec Une Nouvelle Amie, en salles ce mercredi, un texte de Ruth Rendell. Et offre par la même occasion un rôle sur mesure au talentueux Romain Duris : celui d’un jeune veuf qui se travestit dans le confort de sa maison cossue. Rencontre avec un réalisateur désireux de redéfinir les contours du masculin et du féminin.
Votre film est né d’une nouvelle de Ruth Rendell qui vous a priori hanté…
Oui… Je vous conseille vraiment de la découvrir, on la trouve facilement sur internet. Elle est très courte. Elle fait une quinzaine de pages. Je l’ai lue il y a une vingtaine d’années. A l’époque, j’avais essayé de l’adapter en court métrage mais j’avais trouvé ni l’argent ni l’acteur. J’ai donc abandonné le projet et tourné un autre court métrage à la place : Une robe d’été, où il y a déjà cette idée du travestissement. Avec le temps, la façon dont je voulais aborder l’histoire a changé. Je ne voulais plus parler du meurtre, puisque c’est ainsi que le récit se referme, mais d’amour.
Que déclenche selon vous le sujet du travestissement chez le spectateur ?
J’ai en fait rajouté le deuil au film, qui n’existait pas dans la nouvelle. C’était une manière de mieux rentrer dans l’histoire et de faire en sorte que le spectateur comprenne les enjeux qui animent cet homme ayant perdu sa femme et devant élever son enfant seul… Il faut souvent des drames dans sa vie personnelle pour faire des choix. Le travestissement n’est finalement pas le sujet de mon film, mais c’est plutôt la liberté, l’émancipation, le fait de s’affranchir d’un carcan social, familial, culturel pour trouver sa propre identité.
Souvent au cinéma, le travestissement est une obligation pour les personnages. Une sorte d’élément, souvent traité avec humour, qui permet à des héros de se transformer pour arriver à leur fin. Mais pas ici…
Oui… L’idée pour moi était d’assumer la notion de comédie et de ne pas rire contre mais avec le personnage. Je voulais montrer ça de manière ludique, très enfantine. Mes personnages sont comme des gamins qui se déguisent.
Comment crée-t-on une proximité entre un tel personnage et le public ?
Tout se fait dans la manière de raconter l’histoire. Les codes narratifs que j’utilise sont universels. Ce sont ceux des contes de fée. Ça commence par deux personnes qui ont un grand malheur, puis ils traversent un long chemin et à la fin on a un happy end. C’est une structure que tout le monde comprend.
Quelle a été la réaction de Romain Duris à la lecture du scénario ?
Il était très enthousiaste ! J’avais lu une interview de lui où il racontait que son rêve était de jouer le rôle d’une femme. Romain est un acteur qui est dans la composition, la création. Il aime travailler en amont, construire un personnage, trouver son look. Tout d’un coup, jouer une femme, c’était l’apothéose de son travail d’acteur. On lui demandait exactement ce qu’il aimait faire en allant encore plus loin, en repoussant ses limites et en utilisant des artifices auxquels il n’a pas droit d’habitude. Comme le maquillage, les talons aiguilles ou la coiffure, par exemple. Il a pris du plaisir !
Est-ce qu’il y avait des limites ? Des choses qu’il n’avait pas envie de faire ?
Non. A partir du moment où c’était justifié et au service du personnage, il était prêt à aller très loin. Tous ces artifices lui ont finalement permis de montrer sa vérité, de se dévoiler plus, parce qu’il avançait masqué d’une certaine manière. Beaucoup d’acteurs ont eu peur de ce rôle et m’ont dit non. (Réflexion) Il faut découvrir ce personnage en en sachant le moins possible pour s’abandonner totalement à l’intrigue.
Avez-vous rencontré des travestis pour le film ?
Oui, j’ai rencontré certains hommes qui se travestissaient. Je les ai interrogés. La première chose que j’ai apprise, et qui démolit un peu les clichés, c’est que les travestis ne sont pas forcément homosexuels. 80% des hommes qui se travestissent sont hétéros, parfois mariés avec des enfants. Il n’y a pas de raison profonde à cette envie de se transformer en femme. Chaque histoire est différente. (Réflexion) Vous savez, mon film est né aussi de l’histoire vraie d’un homme qui a perdu sa femme et qui, pour la faire revivre, portait ses vêtements.
Pourquoi votre choix s’est-il orienté sur Anaïs Demoustier pour le premier rôle féminin ?
J’ai remarqué Anaïs depuis un moment déjà. Je la trouvais intéressante et je regrettais qu’on la cantonne à de seconds rôles, qu’elle soit dans l’ombre d’autres actrices. Je voulais que sa capacité de jeu, sa beauté, son intelligence éclatent. L’alchimie, lors des tests avec Romain, était immédiate. Elle sait écouter et regarder ; ce qui est important pour ce film où tout est vu à travers ses yeux. C’est l’héroïne.
Y a-t-il de vous chez elle ?
Bien sûr, puisqu’elle est un metteur en scène d’une certaine manière. Le film raconte comment deux personnes font le deuil d’un être aimé pour en recréer une autre.
Pourquoi avoir choisi de planter l’histoire dans un écrin surfait à la Desperate Housewives ?
J’avais envie de styliser, de ne pas être dans un réalisme franco-français. Je voulais rendre ça plus universel. Tourner une certaine partie au Canada, c’était rendre le résultat plus hollywoodien, plus cinématographique. Je cherchais une forme de banlieue avec ces maisons en vis-à-vis avec de beaux jardins. Et derrière lesquelles le vernis s’écaille. Le Canada, avec les couleurs de l’été indien, c’était parfait. D’ailleurs, j’avais même pensé à faire ce film en anglais.
Quand on traite un sujet pareil, à une époque pareille, ça devient forcément politique, non ?
Moi je ne suis pas là pour faire de la politique ou de la propagande. Mais pour poser des questions, pour que le spectateur s’interroge sur son désir, la complexité du désir, sa transmission, sur le masculin, le féminin. J’ai de l’empathie pour mes personnages et j’ai envie qu’on les comprenne. Le film est suffisamment ouvert pour se faire une opinion sans se sentir agressé ou violenté. Je ne veux pas choquer pour choquer mais être toujours dans la logique des personnages. Je suis avec eux. Disons que film est devenu politique à mon insu.
Que dit le film en creux ?
Vous savez, de nos jours, on accepte dans notre société qu’une femme soit masculine, en pantalon, un peu virile. On dit même de façon valorisante que : « Celle-là a des couilles ! ». Par contre, un garçon féminin est tout de suite dévalorisé. C’est considéré comme honteux. Pour moi, le film est un plaidoyer pour l’acceptation de soi et ce, aussi différent qu’on soit des autres. Aujourd’hui, c’est les garçons en bleu, les filles en rose. Le film dit : et si on portait du violet ? La société est crispée. (Réflexion) J’ai écrit le scénario au moment des manifs pour tous… Je pense qu’il y a beaucoup de peur, d’ignorance. Si ce film peut faire mieux comprendre que les familles sont différentes et que tout le monde n’est pas fait dans le même moule, c’est déjà bien. En tout cas, j’ai essayé de répondre de manière violente par la violence de ces manifs. Empêcher à certains de ne pas avoir les mêmes droits que soi, c’est fou. D’habitude on manifeste pour donner des droits, pas pour en enlever.
Avez-vous invité Eric Zemmour à voir votre film ?
(Rires) J’aimerais bien qu’il paye sa place. Ça va le conforter dans son idée que la société se féminise. On est dans un modèle patriarcal où les valeurs masculines sont portées aux nues alors qu’il est juste en train de s’équilibrer entre les valeurs masculines et féminines. Tant mieux si ça adoucit les gens et si ça rend Zemmour un peu plus calme et épanoui.
Propos recueillis par Mehdi Omaïs
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