Interview : Anne Depetrini, le jambon et ses conséquences !

Un peu dans l’esprit de « Mauvaise foi » de Roschdy Zem, Anne Depetrini embarque le spectateur, pour son premier passage derrière la caméra, au cœur d’une idylle entre une française de bonne famille et un arabe. Le pitch ? Elle est journaliste cantonnée à la rubrique « chiens écrasés », il est médecin urgentiste. Elle s’appelle Justine, lui Djalil. Entre eux, c’est le parfait amour… Mais peut-il tenir dès lors que les familles s’en mêlent et les préjugés giclent comme des geysers ? Afin de donner vie à ce couple, la réalisatrice a opté pour le duo Anne Marivin et Ramzy, son compagnon à la vie, plutôt étonnant dans ce premier vrai premier rôle (sans Eric). Sans détour, l’ancienne étoile de Canal + a gentiment accepté d’évoquer la genèse d’ »Il reste du jambon ? » avec une sincérité louable. Retour sur un charmant entretien.

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Comment est née cette histoire ?

Cette histoire est née du constat selon lequel les arabes font peur en France. Avant de rencontrer Ramzy par exemple (rires), j’évoluais dans un milieu bobo assez fermé au sein duquel je ne fréquentais pas de personnes différentes de moi. Devant mon poste de télévision, je voyais des arabes voiler leur femme, poser des bombes… Quant au cinéma, on y montre toujours la réalité d’une cité très sombre, très dure, même si cela existe par endroit. En passant du temps avec Ramzy, ses potes, sa famille, je me suis dit « Tiens, ils sont normaux »… C’est idiot comme constat, je sais ! Mais, force est de constater que l’ignorance et la peur font le lit du racisme ordinaire. Et ça, j’avais envie de le montrer dans un bon esprit. J’aime beaucoup les comédies et je me disais, en regardant tout ce qui se faisait notamment en Angleterre avec des films décomplexés comme « Joue-la comme Beckham » ou « Fish and chips », qu’il était dommage de ne pas avoir ça en France. Jamais un film n’avait été construit autour d’une idylle entre une française et un arabe.

Quelle est la part autobiographique dans ce film ?

Il y a certainement une part autobiographique dans l’idée du couple. Après, il fallait absolument trouver la réalité de cette histoire afin qu’elle s’inscrive hors du contexte du show-biz. Je voulais que l’héroïne soit issue d’un milieu aisé parce que je trouve que le racisme de ces gens-là est inattendu, puisqu’on les croit instruits. Je tenais également à ce que le personnage de Ramzy soit médecin, qu’il se soit élevé socialement grâce aux études afin de donner corps à la rencontre. D’ailleurs, c’est plutôt elle qui galère dans son métier de journaliste.

Pourquoi avoir mentionné le mot jambon dans le titre ? Selon vous, est-il une sorte d’épicentre du choc culturel ?

Oui parce que, finalement, c’est l’interdiction religieuse à laquelle les musulmans pratiquants de France s’accrochent le plus dans leur globalité. Il y a des gens qui jeunent, d’autres non. Certains prient, d’autres non. Chacun a sa propre façon d’exprimer sa religion. En revanche, ne pas manger de porc, quand on se revendique musulman, est un point d’orgue. C’est bizarre parce que je n’en mangeais pas beaucoup avant. Etrangement, alors que je suis athée, j’ai eu des espèces de replis. On se raccroche à nos valeurs quand partage sa vie avec quelqu’un qui n’a pas les mêmes que les nôtres. Désormais, j’en ai toujours chez moi comme si c’était une sorte d’acte militant. A ce propos, nos pires engueulades résultaient souvent de ça, d’une question comme « Faut-il en donner aux enfants ou non ? ». Personnellement, je trouve ça absurde de ne pas leur en donner mais je respecte Ramzy et ses coutumes ! Dans un sens, je le comprends car c’est encore un des seuls liens qui le rattache à sa culture et ses traditions. Djamel Bensalah me l’avait bien expliqué un jour.

Dans le fond, le sujet est un peu triste. C’est quand même épouvantable tous ces préjugés. Pourquoi, contrairement à un film comme « Just a Kiss », avez-vous préféré la comédie au drame ?

L’une des ambitions premières du film était d’en faire une comédie. Autrement, je ne l’aurais pas fait. Je trouve que le sujet allait avec le ton. L’idée était de déstresser tout le monde et de rire comme des enfants de nos différences. Mon désir était d’aborder le sujet à l’image d’une fable, sans rentrer dans le côté sombre des réalités, le curseur toujours inversé. C’est sûr que dans la vraie vie, les choses sont complexes pour de nombreux couples, j’en suis consciente. Mais la finalité ici est de rire et se dire en sortant de la séance que « Les arabes, c’est pas grave ». (rires)

Y a-t-il une forme d’autocensure quand on écrit sur des sujets pareils ?

Oui et non. A partir du moment où la démarche scénaristique est bienveillante, puisqu’évidemment il n’était pas question de dire du mal des arabes, ou de briser une communauté, l’autocensure s’oublie. Je trouve d’ailleurs qu’aller loin dans la critique, c’est une forme de respect. Dans mon film, la culture arabe est prise en compte et vannée respectueusement. Quelque part, faut savoir rire de tout !

Si Rochdy Zem n’avait pas réalisé « Mauvaise Foi », pensez-vous que l’héroïne aurait pu être juive ?

Je voulais m’écarter complètement de ce dossier parce que je trouve que le conflit israélo-palestinien a été importé récemment en France pour des raisons politiques. Je trouve que les arabes de France s’entendent quasiment mieux avec les juifs qu’avec les français parce qu’ils partagent de nombreuses valeurs. Les cérémonies, c’est quasiment les mêmes. Les mariages aussi. Les gens qui mangent hallal peuvent facilement s’orienter vers du casher. Quand on s’entend sur la nourriture, on est frères !

Anne Marivin était-elle votre premier choix ?

En fait, non. Ce n’est pas contre elle mais c’est juste que j’avais du mal à projeter quelqu’un sur cette fille qui est un peu moi quand même (rires). Le producteur a pensé à elle et nous nous sommes très vite entendues. C’est une comédienne intéressante et subtile dans son jeu.

Diriger quelqu’un avec qui on partage sa vie, ça facilite les choses ou ça les rend encore plus difficiles ?

Au départ, Ramzy ne voulait pas jouer ce rôle, surtout sans Eric, mais le timing a joué en notre faveur. Il a finalement accepté d’y participer tandis qu’Eric avait un projet de son côté. Il faut savoir que Ramzy n’aime pas les films qui ne sont pas burlesques. Il est très pudique dans sa vie et ce type de long métrage lui permet en quelque sorte de se cacher derrière son nez rouge. Il a une façon de jouer où l’humour doit toujours l’emporter et il ne faut jamais qu’on sente ce qu’il ressent. J’appelle cela sa peur du vide. Dans « Il reste du jambon ? », il joue dans un registre moins loufoque que celui de ses films avec Eric. C’est son vrai premier rôle seul, raison pour laquelle je voulais qu’il se rase pour qu’il n’y ait rien qui le dissimule. Qu’il soit à nu.

Bien souvent, face aux comédies françaises, la critique est assassine. Redoutez-vous l’avis des journalistes ?

Pour être honnête, on a eu des critiques dures même si dans l’ensemble, elles restent bienveillantes. Les plus virulentes m’ont blessée mais j’ai très vite repris du poil de la bête. Ce film ressemble à ce que je voulais, ce n’est pas un gage de qualité certes, mais je suis satisfaite du résultat final. Il correspond à l’idée que j’avais en tête.

Propos recueillis par Mehdi Omaïs

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