De François Ozon avec Romain Duris, Anaïs Demoustier et Raphaël Personnaz
A l’instar de Woody Allen, François Ozon enchaîne les films avec une constance et une cadence qui laissent stupéfaits. Après Dans la maison (2012) et Jeune et Jolie (2013), le cru 2014 prend les traits d’Une nouvelle amie. Le réalisateur français avoue avoir eu l’idée de ce long métrage il y a près de vingt ans, alors qu’il tournait son court Une robe d’été. C’est à ce moment précis qu’il découvre la nouvelle Une amie qui vous veut du bien de Ruth Wendell, lauréate du Prix Edgar Allan Poe en 1985. Ce récit n’a plus jamais quitté le cinéaste qui, patient à souhait, l’a transformé et revisité le temps d’une œuvre atypique qui devrait faire grincer certaines dents, à commencer par celles d’Eric Zemmour. Et pour cause, on y suit le quotidien de David (Romain Duris), un jeune veuf déboussolé par la disparition de son épouse qui se travestit pour s’occuper de son bébé (et pour son propre plaisir). Quand Claire (Anaïs Demoustier), la meilleure amie de la défunte, découvre Virginia, la version féminine de David, une amitié inattendue se crée. Alors que la plupart des films abordent le travestissement sur l’angle de l’humour (des personnages souvent forcés à se déguiser), François Ozon campe ici sur un premier degré tout aussi enthousiasmant que dérangeant. David enfile des robes par envie, minaude car il aime ça, roule du popotin à sa guise. Est-il gay, bi ou hétéro ? Le sujet n’est pas là. Il est plutôt dans le questionnement identitaire, dans la liberté de jouir de son corps et dans l’éclatement des codes immuables qui régissent, en maîtres, les contours du masculin et du féminin. Sur ces interrogations passionnantes, Ozon va instiller le trouble, sans juger son personnage ni s’essayer à une forme de dogmatisme. Forcément, au regard du climat social actuel, où les débats sont toujours aussi électriques quand il est question du mariage homosexuel, et alors que les valeurs traditionalistes autour de la famille sont légion, Une nouvelle amie devient un film politique à son insu. Un objet à polémique dans lequel Romain Duris trouve un de ses rôles les plus surprenants. Cimenté dans un écrin tout droit sorti d’une série à la Desperate Housewives, il porte l’ensemble de bout en bout et jugule, cahin caha, les nombreux écueils scénaristiques et la dysharmonie dans les ruptures de ton. Sulfureux dans la douceur, sérieux dans la légèreté, ce nouveau Ozon, plaidoyer pour la tolérance et portevoix des parias de la (supposée) doxa, ne réussit pas tout ce qu’il entreprend. Mais il y a dans ses tentatives foirées la preuve d’un cinéma qui ose et propose.
Mehdi Omaïs
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