De Martin Scorsese avec Andrew Garfield, Adam Driver et Liam Neeson
Il en rêvait farouchement, impétueusement. Depuis les années 90, plus précisément. A force de pugnacité et de foi filmique, Martin Scorsese l’a fait. Porter à l’écran Silence, le roman de l’écrivain japonais catholique Shūsaku Endō, publié en 1966. Une tâche ardue qu’il espérait déjà mener au sortir de Gangs of New York, avant que les financiers rechignent finalement à mettre la main au portefeuille, repoussant ainsi la bonne tenue du projet. Jusqu’à 2017. Aujourd’hui, le film naît enfin, défiant l’adversité, dans une économie sommaire -47 millions de dollars contre 100 pour Le loup de Wall Street. Pour transformer l’essai, Marty ne s’est pas versé de salaire et ses acteurs principaux ont toléré un cachet bien inférieur au tarif communément appliqué. De cet alignement des planètes et des forces a donc jailli une œuvre-fleuve, de 2h41, se ramifiant aux confins d’interrogations intimes et profondes.
L’intrigue ondule dans le Japon du XVIIème siècle et s’inspire librement d’un fait réel : celui de deux prêtres jésuites (Andrew Garfield et Adam Driver) qui se lancent corps et âme à la recherche de leur mentor, le père Ferreira (Liam Neeson), disparu après avoir tenté de répandre la religion catholique au pays du soleil levant. Alors que des inquisiteurs veillent au grain, bien décidés à ne pas laisser le christianisme coloniser leur territoire, cette aventure initiatique, opérée dans la plus totale clandestinité, se révèlera truffée de dangers et de chausse-trapes. Les deux héros devront en effet protéger les populations coreligionnaires dans un climat de chasse aux sorcières propice aux violences les plus sadiques. A ce propos, certaines séquences, à l’image de celle où quelques hommes sont attachés à des croix et fusillés par des vagues séditieuses, s’avèrent particulièrement insoutenables.
Dans ce Silence, avouons-le, il y a une ampleur manifeste, palpable dès le premier plan de brume épaisse. Une atmosphère immédiatement saisissante et magnifiée par la texture de l’image, rendue âpre par l’usage du 35mm, que Scorsese a préféré au numérique. L’ambition n’est clairement pas à prouver : le maestro est bel et bien là pour parcourir, du mieux qu’il le peut, toutes ces thématiques gigantesques qui, bien souvent, dépassent la condition humaine. Ici, le but est de poser des questions, d’interroger les croyants comme les plus sceptiques, de tutoyer le cosmos comme l’intime, en sa gardant tout du long d’imposer une vision prosélyte ou arrêtée de la foi. En ce sens, Silence prend les atours d’une méditation mystique, celle d’un personnage et d’un cinéaste. Le choix du cadre, l’austérité kurosawienne de la mise en scène et le rythme quiète de l’entreprise accompagnent plutôt adroitement les doubles questionnements.
Si le film marche à l’usure, on regrette hélas lourdement l’absence d’émotion qui parcourt ce récit pourtant chargé. D’abord chez les protagonistes, campés avec foi mais sans frisson. Andrew Garfield et Adam Driver peinent à toucher les cœurs et à trouver leur juste place. Probablement parce que Scorsese les oublie parfois, préférant insister lourdement sur les sévices infligés aux fidèles chrétiens. Un phénomène de répétition, étiré à l’extrême, qui finit par faire pêcher le film et annihiler le dernier acte, n’en déplaise à sa puissance évocatrice. Etourdi et épuisé, le spectateur ne sera malheureusement plus en pleine possession de ses moyens pour accueillir le message final. Moins fort que La dernière tentation du Christ mais autrement plus intéressant que Kundun, Silence soulève une pléthore de questions qui, malgré leur noblesse, leur importance et leur écho à l’actualité, finissent par être anesthésiées et noyées par la beauté irrécusable des images. Contemplatif : oui. Méditatif : un peu moins.
Mehdi Omaïs
Leave a reply Cancel reply
You must be logged in to post a comment.