De Damien Chazelle avec Ryan Gosling, Emma Stone et John Legend
Il existe des films qui, dès leur entame, vous souhaitent une merveilleuse bienvenue. La La Land boxe dans cette catégorie-là. A peine entré sur le ring qu’il balance déjà un superbe crochet du droit, couleur rose-bonbon, avec un plan-séquence héroïque sur une portion d’autoroute embouteillée. Les couleurs sont chamarrées, les automobilistes prêts à tourbillonner. Les notes d’Another day of sun giclent de part en part, poussant tout ce beau monde à se trémousser joyeusement, dans un cri bambocheur et polyphonique. Au centre du tumulte, deux rêveurs s’invectivent. Un doigt d’honneur jaillit. Une moue. Un crissement de pneu qui paraphe sur l’asphalte le début du processus amoureux.
Lui, c’est Sebastian (Ryan Gosling). Il a le regard aussi triste et mélancolique que les morceaux de jazz qu’il idolâtre. Son vœu le plus cher ? Arrêter de jouer de la musique de merde dans des clubs craignos ou des fêtes cossues, (de surcroit) devant un parterre d’irréductibles incultes, pour faire swinguer des notes plus décentes, plus belles et enchanteresses. Car il ne badine pas avec la musique. Elle, c’est Mia (Emma Stone). Elle fait le service toute la journée dans le café d’un grand studio hollywoodien où, de temps en temps, une star de l’écran vient prendre son café latte. Son désir ? Réussir enfin l’une des centaines d’auditions qu’elle enchaîne à tire-larigot, trouver un grand rôle et devenir une actrice heureuse et accomplie.
Le destin, dans sa miséricorde, a bien compris leurs doléances et va alors se blottir dans la caméra de Damien Chazelle pour faire son travail. C’est ainsi que, à l’instar d’un conte de fée écrit par un romantique chevronné, Mia et Sebastian n’arrêteront plus tomber l’un sur l’autre. D’abord dans ce restaurant feutré, non loin d’une bretelle routière, au son vaporeux et magnifique d’un piano. Ensuite dans une villa de nanti hollywoodien, où monsieur est obligé d’aller à rebours de son éthique musicale pour contenter sa galerie. De fil en aiguille, les atomes de l’un s’accrochent à ceux de l’autre, dessinant les prémices d’une romance vertigineuse. Pourtant, il serait inexact de résumer le troisième long métrage de Damien Chazelle à une simple idylle flamboyante. Très inexact.
Ce constat ne rendrait en effet justice qu’à l’une des nombreuses facettes d’une œuvre beaucoup plus profonde et déchirante que ne le laisse supposer ses apparats de comédie musicale. Certes, le rire se fait souvent entendre, décongestionnant la gêne, le malaise ou le désespoir. Mais c’est dans sa peinture de la solitude de l’artiste que La La Land prend à la gorge. Mia et Sebastian sont blessés par leur rêve commun. Les pirouettes et autres danses, honorablement exécutées, ne sont que des moments d’accalmie, des parenthèses qu’ils ouvrent pour fuir le réel et ses contrariétés. Oui : leur imaginaire a la puissance de les faire décoller, à l’Observatoire Griffin ou sur un belvédère lumineux, mais ne les protège pas d’un atterrissage qui fait tomber le château de cartes. A chaque fois.
De facto, ces deux-là sont conscients de vivre dans une fabrique de rêves où les places sont comptées. Un monde où les compromissions, les désillusions, les rétropédalages sont monnaie courante. Où la déception finit par habiter, d’une façon évidente, le spleen de la bande originale. Quid de l’hommage aux comédies musicales d’antan –celles de Jacques Demy ou Vincente Minnelli, pour ne citer qu’eux– : il est indiscutable. Mais Chazelle a le mérite de ne jamais s’engluer dans une nostalgie respectueuse qui neutraliserait toute innovation. Oh non. Son film, impeccablement construit et découpé, est une jonction parfaite entre modernisme et intemporalité. En définitive : il restera moderne à chaque visionnage, à toutes les époques. Et ça, c’est la classe.
Impossible enfin de ne pas applaudir les performances impressionnantes de Ryan Gosling et Emma Stone, réunis là une troisième fois après Crazy, Stupid, Love et Gangster Squad. Au-delà de l’alchimie qui les unit comme les deux aiguilles d’une même montre, leur foi, leur dévotion, leur amour pour ce projet transparaît toujours et transcende chaque instant. Ils parviennent à nous faire croire tout ce qu’ils vivent et nous laissent suspendus, émus ou heureux dans leur chorégraphie des sentiments. Chorégraphie qu’épouse avec pertinence la mise en scène de Chazelle, bien moins métrique et horizontale que celle de Whiplash. Ici, c’est la politique de la courbe qui est adoptée. Il n’y a pas de douleurs. La caméra ne meurtrit pas. Elle se contente de panser ses héros par des mouvements gracieux, légers, éthérés. Mouvements qui, à leur tour, sont en symbiose totale avec une bande originale insensée. Laquelle enveloppe ce cadeau cinématographique d’une brillance inoubliable. Boucle bouclée. Très grand film. Chapeau.
Mehdi Omaïs
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