De David Fincher avec Ben Affleck, Rosamund Pike et Neil Patrick Harris
Et un grand film de plus dans la filmographie sidérante de David Fincher ! Depuis Seven, sa première réalisation revendiquée, – il a rejeté la paternité d’Alien 3 -, le cinéaste de 52 ans a enchaîné les projets avec un souci constant de la forme et du fond, sans jamais compromettre son intégrité artistique, même dans le cadre d’un produit de commande comme Panic Room qui, sur le papier, ne promettait rien qui vaille. Au-delà de sa grammaire visuelle, d’une élégance et d’une fluidité presque arrogante, le maestro a su raconter, en creux de son œuvre globale, les vicissitudes de son époque et les névroses qui l’animent. Avec Gone Girl, l’adaptation du best-seller Les apparences de Gillian Flynn, il poursuit son auscultation chirurgicale de l’Amérique (et du monde) à travers un portrait au vitriol d’un couple campé par Ben Affleck et Rosamund Pike, tous deux inespérément excellents. A l’occasion de leurs cinq ans de mariage, un drame frappe Nick et Amy. La seconde, connue pour avoir inspiré une série de livres de jeunesse, disparait mystérieusement, plongeant son pays dans l’incompréhension et son mari dans la tourmente. A mesure que l’enquête avance et que les médias furètent, le vernis, qui ressemble drôlement à celui que l’on trouverait à Wisteria Lane, s’écaille et craque en morceaux. Dès lors, une horde de doutes laboure les tempes du spectateur qui, haletant dans son fauteuil, se laissera volontiers embarquer dans un puzzle vertigineux et habilement (dé)construit. Résumer Gone Girl à un formidablement thriller – ce qui n’a rien d’un mensonge – serait bien vain tant il rivalise de strates narratives. Satire grinçante sur la société du spectacle que Guy Debord aurait probablement adorée, le long métrage en question déploie surtout sa puissance par le biais de son déroutant jeu de miroirs. Tous les personnages de l’intrigue, en commençant par les héros, s’apparentent en effet à des boules à facettes dont chaque reflet ouvre une piste de réflexion, un cul de sac, un chemin de traverse. Fincher corrompt ou réveille (au choix) nos perceptions et redessine ainsi perpétuellement les contours psychologiques de ses sujets. Son récit évolue limpidement et épingle la vanité des uns et des autres, les faux-semblants et va jusqu’à remettre en question le fondement même de l’union. Fort d’une mise en scène minutieuse, dont on regrettera néanmoins le caractère démonstratif lors du dénouement, le réalisateur de Millenium assène son coup de poing le plus féroce depuis ceux balancés dans Fight Club. C’est dire la performance.
Mehdi Omaïs
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