De Céline Sciamma avec Karidja Touré, Assa Sylla et Lindsay Karamoh
Le déterminisme social, Céline Sciamma déteste ça. Et elle le crie viscéralement avec sa caméra inspirée dans Bande de filles, prétexte à une dissection pertinente du passage de l’adolescence à l’âge adulte. Son héroïne Marieme, 16 ans, a les pieds coincés dans les rails, prête à filer à la vitesse du TGV, le dos voûté, vers un avenir qu’elle n’a pas choisi. Son quotidien sclérosant, régi par les diktats de garçons machos et intransigeants, consiste en une multitude d’interdits. Rasant les murs jusqu’à décaper sa peau, elle tombe un jour sur trois filles de son âge. Des presque-femmes volubiles, enfiévrées et stimulantes qui croquent les jours en faisant fi des codes (in)visibles. Séduite par leur existence décomplexée, Marieme se laisse aspirer dans un tourbillon de vie où le lâcher-prise est le meilleur des antidotes. A l’instar de cette séquence magique, qui a créé le buzz à Cannes en mai dernier, où les quatre filles entonnent Diamonds de Rihanna dans une chambre d’hôtel. C’est à ce moment précis que le destin est scellé et qu’on réalise la portée totalement universelle de Bandes de filles. Céline Sciamma, chantre du trouble et de l’émoi comme l’attestent Naissance des pieuvres ou Tomboy, réfute précisément l’idée selon laquelle cette réalisation ne concerne que les filles de banlieue. Et elle a raison ! N’importe quelle femme du monde a déjà chanté ses rêves à s’en arracher la glotte. Par-delà cette thématique, qui agit en filigrane du récit, Sciamma évoque surtout la construction identitaire. Marieme seule. Marieme dans la bande. Marieme avec le garçon qu’elle aime. Marieme avec sa famille. Marieme face à son corps et ses hormones grondantes. Comment relier ces existences, ces trajectoires, ces désirs, ces pulsions, pour bâtir une personnalité assez solide pour briser les murs ? Pendant près de deux heures, ce personnage attachant, campé par une actrice débutante douée (Karidja Touré), va essayer de recoller les morceaux, de constituer le puzzle de son aujourd’hui et de son demain. Un cheminement que la réalisatrice féministe accompagne avec une mise en scène précise, sans faille. Pour ne pas dire clinique. Formellement passionnant, on regrettera hélas une légère faiblesse scénaristique dans la seconde moitié du long métrage. Un segment prévisible sans être ennuyeux, durant lequel la protagoniste comme la cinéaste ont du mal à boucler la boucle. Pataugeant dans une logique démonstrative et peut-être, trop simpliste.
Mehdi Omaïs
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