Jeudi 13 avril 2017. 10h45. La fameuse salle prestige de l’UGC Normandie est assaillie de journalistes. Une rumeur cacophonique s’épanouit de rang en rang. Les derniers pronostics fusent. « Non, ça sera hors compète, tu verras… », lance l’un, péremptoire. « Impossible, le film n’est pas prêt », renchérit l’autre, pragmatique. Chacun y va de sa théorie. C’est le jeu. Et tout le monde prend un incommensurable plaisir à embrasser cette tradition. Autour de 11h06, Thierry Frémaux, le Délégué Gérénal du Festival de Cannes, et Pierre Lescure, Président de la manifestation, font leur entrée. Le premier, auteur d’un livre passionnant sur les coulisses de cette grand-messe du 7ème art, arrive avec des noms plein la besace. Il s’est couché à 3h du matin, finitions obligent. Au total, 1930 longs métrages ont été visionnés par les organisateurs pour établir la précieuse short-list de la sélection officielle, incluant la compétition, le certain regard, le hors compétition, les séances spéciales et les projos de minuit. 49 œuvres (dont 9 premiers films), venues de 29 pays, seront ainsi mises en lumière du 17 au 28 mai à Cannes devant le plus grand parterre de cinéphiles du monde. Une fête du cinéma, de tous les cinémas, qui s’ouvrira avec Les fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin et à laquelle Les Cinévores va joyeusement participer. Oui, j’y serai -non plus pour Metronews et LCI comme les années passées- mais pour mon cher blog. Inutile de vous balancer, tout de go, la liste exhaustive des longs métrages retenus, laquelle est déjà visible depuis une plombe sur la toile. Du coup, je profite de ce billet pour vous livrer mes modestes impressions, mes attentes et tutti quanti.
Une compétition plurielle
Il y aura toujours des ronchons pour remettre en question les choix artistiques finaux, pour crier haro sur les « habitués », pour s’étonner de l’absence d’un pays –un journaliste indien n’a pas manqué d’apostropher Thierry Frémaux à ce sujet– ou pour cracher sa déception. Pour ma part, je trouve la compétition 2017 particulièrement emballante. Elle apparie grands auteurs Cannes-friendly, à l’instar de Michael Haneke, en lice pour une troisième Palme d’Or avec Happy End, Todd Haynes (Wonderstruck) ou Naomi Kawase (Radiance), et cinéastes moins attendus comme les frères Safdie (Good Time), Noah Baumbach (The Meyerowitz Stories) ou Robin Campillo (120 battements par minute). Cet éclectisme promet, à l’évidence, une intéressante cartographie de la société et une kyrielle de regards passionnés sur l’état du monde.
Evidemment, j’attends impatiemment de découvrir Happy End (photo) qui, en pleine crise des migrants, devrait, au-delà du statut messianique de son réalisateur, faire converger tous les espoirs. Haneke y met en scène une famille de la bourgeoisie du Nord de la France faisant face à la jungle de Calais. Isabelle Huppert, Jean-Louis Trintignant et Mathieu Kassovitz sont de la partie. Sacré trio ! Malgré la faiblesse de son récent The Cut, autant vous dire que je suis également ravi de revoir Fatih Akin en compétition, dix ans après De l’autre côté. Dans In the fade, le cinéaste de 43 ans renoue avec la communauté turco-allemande et dirige pour l’occasion la comédienne Diane Kruger le temps d’une histoire de vengeance. Le film, assimilé à un thriller, commencera visiblement par une explosion tournée dans le quartier rouge de Sankt Pauli à Hambourg, ville de naissance, de cœur et de résidence d’Akin.
Ceux qui me lisent le savent peut-être : Todd Haynes est l’un des auteurs qui me touche le plus. De Safe à Loin du Paradis en passant par Carol, mon film préféré de 2016 (oui, je n’oublierai jamais le regard de Cate Blanchett, jamais), l’américain n’a plus cessé d’assoir sa réputation. Wonderstruck, adapté du roman pour la jeunesse de Brian Selznick, auteur notamment de L’invention de Hugo Cabret, s’apparente à un vrai défi narratif et formel. Ou comment relater l’histoire de deux enfants sourds, vivant à deux périodes séparées (1927 et 1977) et connectés dans leur fuite vers New York par un mystère commun. Allez, avouez, c’est super alléchant ! En plus, il y aura Julianne Moore, Michelle Williams et, on l’imagine, des enfants acteurs au top. Autre univers ? Celui du cinéma de genre, à qui Thierry Frémaux dit vouloir donner toute sa place sur l’échiquier cannois. Il sera, entre autre, représenté par un film estampillé Netflix : en l’occurrence Okja de Bong Joon-ho. Là aussi, l’attente est pantagruélique. On y découvrira l’amitié contrariée par une firme multinationale entre la jeune Mija (An Seo Hyun) et son ami Okja, une bête imposante. Tilda Swinton, déjà à l’affiche de Snowpiercer du même Sud-coréen, et Jake Gyllenhaal complètent la distribution.
Nous l’avions laissée en 2011 avec l’entêtant We need to talk about Kevin, transposition cinématographique du magistral roman de l’écrivaine Lionel Shriver (lisez-le si ce n’est pas déjà fait). La Britannique Lynne Ramsay reviendra à l’assaut de la Croisette avec You were never really here, d’après le roman de Jonathan Ame. On sait gré à la cinéaste de mettre toute son âpreté au service de ce thriller dans lequel un vétéran de guerre, qu’incarne Joaquin Phoenix, tentera de sauver une jeune fille des griffes du trafic sexuel. Violence et scènes choc au rendez-vous si l’on s’en réfère aux premiers bruits de couloir et à l’œuvre originelle. Direction désormais la Hongrie avec Kornél Mundruczó, à qui l’on doit les excellents White God (Prix Un Certain Regard en 2014) et Delta. Difficile de trouver des renseignements sur sa nouvelle réalisation Jupiter’s Moon, mais sa trajectoire de carrière et son talent inouï suffisent à aiguiser farouchement ma curiosité. Enfin, dernier film de la compétition à suivre de près : 120 battements par minute. Après les concluants Eastern Boys et Les Revenants, le Français Robin Campillo s’attèle dans son labeur à un autoportrait, au début des années 90, du groupe activiste Act Up, militant contre le SIDA (photo).
Nicole Kidman, Grace de Cannes
Elle peut sourire à pleines dents, notre chère Nicole Kidman. L’actrice australienne montera en effet à quatre reprises les marches du festival en mai prochain. En compétition, elle fera crépiter les flashs pour The Beguiled (photo), remake lointain des Proies par Sofia Coppola et The Killing of a sacred deer du Grec Yorgos Lanthimos. Hors compétition, elle accompagnera le réalisateur James Cameron Mitchell, qui l’avait dirigée dans Rabbit Hole et qui a marqué les esprits en 2006 avec l’enthousiasmant Shortbus, pour la présentation très courue du punko-mystique How to talk to girls at parties. Vent en poupe comme dans ses belles années 2000 (Eyes Wide Shut, Moulin Rouge, Les autres…), Kidman se distinguera enfin dans la deuxième saison de la série Top of the Lake, que Jane Campion présentera dans le cadre d’une brochette d’évènements qui marquera le 70ème anniversaire du Festival de Cannes.
Parmi ces rendez-vous, il en est un autre qui sera sûrement fort médiatisé : Kristen Stewart venant présenter Come Swim, son court métrage de 17 minutes. Et là, je m’arrête quelques secondes sur l’ancienne Bella de Twilight. Il y a quelque de proprement épatant à voir comment la belle brune est parvenue à se défaire de sa très collante étiquette teen-age en devenant, si rapidement, une habituée cannoise. Si, si. Une invitée récurrente. La preuve : en 2012 avec La route de Walter Salles, en 2014 avec Sils Maria d’Olivier Assayas et en 2016 avec Personal Shopper d’Olivier Assayas (encore) et Café Society de Woody Allen. On peut en dire autant de son ancien partenaire vampirique, Robert Pattinson qui, après Cosmopolis et Maps to the stars de David Cronenberg, reviendra à Cannes pour soutenir les frères Safdie en compète avec Good Time. Chapeau.
Autre catégorie, et pas des moindres : les documentaires devant lesquels on a très hâte de passer des heures. Pêle-mêle, Al Gore sera à l’affiche de An Unconvenient Sequel de Bonnie Cohen et John Shenk, qui promet de taper sur l’administration Trump ; Raymond Depardon avec qui on passera 12 jours ; Claude Landzmann évoquera la Corée du Nord dans Napalm ; Vanessa Redgrave scannera le sort des réfugiés dans Sea Sorrow ; Agnès Varda s’associera à l’artiste JR pour Visages, Villages… Ajoutez à cela, pour les irrésistibles séances de minuit, deux films de genre sud-coréens –Bulhandang de Byun Sung-hyun et Ak-Nyeo de Jeong Byeong-Gil– et Prayer before dawn, le nouveau passage derrière la caméra de Jean-Stéphane Sauvaire, qui nous avait saisis il y a quelques années avec Johnny Mad Dog, son instantané glaçant sur les enfants soldats. Concernant le Certain Regard, je suis spontanément attiré par L’atelier de Laurent Cantet, Las Hijas de Abril de Michel Franco, Before we vanish de Kiyoshi Kuzosawa et Wind River, premier film de Taylor Sheridan, scénariste de Sicario et Comancheria. Ça en fait des films à voir. Sans compter les sections parallèles, non dévoilées pour l’heure, mais qui réservent chaque année d’étincelantes révélations. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Vive le cinéma. Vive Cannes. Namaste.
Mehdi Omaïs
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