Interview : Jean Dujardin fait trembler La French (Connection) !

lafrenchCe mercredi, dans l’excellent La French, Jean Dujardin s’est glissé avec brio sous les traits du juge Michel devant la caméra de Cédric Jimenez, à qui l’on doit Aux yeux de tous, un premier film étonnant et maîtrisé sorti en 2012. La star de The Artist, loin d’avoir pris la grosse tête, nous confie sa joie d’avoir inscrit son nom à ce projet et son plaisir de donner la réplique à son ami Gilles Lellouche, qui campe pour sa part une figure forte de la French Connection dans le Marseille des années 1970.

On vous sent très fier de La French…

Oui ! C’est un film assumé et audacieux. J’ai très vite senti la maîtrise dans son écriture. Elle évite les nids à poussière et va à l’essentiel. Ça ne s’écoute pas écrire. Le scénario est resserré, comme les anglo-saxons savent parfois bien le faire. Et derrière, il y a une vraie efficacité à la caméra. Le binôme Cédric Jimenez et Audrey Diwan fonctionne très bien. Elle pose et réfléchit, il agit et tranche. Ce type de projet, c’est une fabrication à l’ancienne qui répond au principe de l’alignement des planètes. Ça part d’un producteur qui permet à un jeune réalisateur, auteur d’un premier film salué par la critique (Aux yeux de tous, ndlr), de réaliser aujourd’hui ce qu’il pensait faire dans vingt ans.

La French : Photo Cédric Jimenez, Jean DujardinConnaissiez-vous bien l’histoire du Juge Michel avant le tournage ?

Non, ça serait mentir que de vous dire le contraire. J’avais dix ans à l’époque de la French Connection. J’en avais entendu parler mais ce n’était pas mes préoccupations de l’époque. Il a donc fallu que je fasse un vrai travail de rattrapage. J’ai beaucoup écouté Audrey et Cédric m’en parler. Ils m’ont fait des récaps réguliers. On a rencontré des magistrats, des avocats et des flics à Marseille qui ont côtoyé le juge Michel. On a rencontré la famille de Gaëtan Zampa, le bandit qu’il a traqué sans relâche. J’ai également lu le bouquin d’Alain Laville. Je me suis nourri de plein de choses pour entrer dans le rôle.

Cette histoire est abordée de façon assez intemporelle pourtant…

Parfaitement. Ce film est au présent. On le regarde comme tel. Ce qui nous intéresse, c’est le regard sur l’humain. On se penche vraiment sur les personnages. Certains metteurs en scène se seraient peut-être fait piéger par l’époque, en s’attardant sur les décors, en ne montrant que des immeubles des années 1970 ou des sous-pulls en lycra, en restant finalement sur une reconstitution à la fois maladroite et nostalgique. (Réflexion) L’écueil de ce genre de film est d’adopter la pose, la frime, de jouer davantage l’emploi que l’humain. Ici, j’ai eu la place et la liberté d’incarner le juge mais aussi le mari ou le copain. C’est un film qui plait d’ailleurs aux femmes parce qu’on dépasse le polar.

La French : Photo Guillaume Gouix, Jean DujardinA quel point cette liberté dont vous jouissiez sur le plateau vous a-t-elle permis de réinterpréter ce personnage ?

Si je me sens enfermé dans un cadre, mon jeu se ferme, mon texte aussi. Et je ne suis pas bon. Là, j’étais dans un vrai palais de justice, dans de vrais décors qui me portaient. Quand j’y crois, j’incarne mieux. Vous savez, la liberté est primordiale pour moi. C’était mon unique doléance sur ce projet. Cédric Jimenez m’a laissé libre dans mes gestes. (Réflexion) L’incarnation de mes personnages passe beaucoup par la gestuelle. Mes rôles dans des comédies comme OSS 117 ou Brice de Nice ont été conçus par le corps. C’était aussi une façon de masquer des lacunes car au début on ne sent pas toujours légitime.

Mais aujourd’hui, vous vous estimez légitime pour le rôle du juge Michel, non ?

Oui… J’ai mis mes craintes de côté en me disant : « Tu ne vas pas non plus t’excuser sans arrêt, tu as 42 ans, tu vas te bouger le cul… » L’après l’Oscar vous rend humble, en fait. Ça ne vous fait pas du tout péter les plombs contrairement au cliché qui revient souvent. Bien au contraire, ça vous fragilise et vous interroge. Ce qui est plutôt pas mal. Je me suis donc recentré sur ce qui m’a toujours plu : jouer, incarner, m’amuser. Et oublier les à-côtés et les récompenses qui sont de joyeux accidents. Mais des accidents quand même ! Il ne faut pas rester là-dessus. Là, avec ce rôle, je me suis dit : « Écoute Jean, tu prends le taureau par les cornes et tu vas assumer tout ça. Tu auras l’autorité que nécessite ton personnage parce que tu en as l’âge… » J’ai pensé à mon père aussi. Je le revois jeune entrepreneur en métallerie sur les chantiers avec les gars… Il avait cette autorité-là. Il n’avait pas besoin de crier pour être entendu. C’était un vrai meneur d’hommes. C’est très agréable de travailler l’autorité. C’est un truc qui me faisait assez peur au cinéma.

La French : Photo Jean DujardinAucune facette de votre personnage n’est oubliée… C’était important pour vous ?

Oui, je voulais, au-delà de son bras-de-fer avec Zampa, voir Michel sourire et heureux en famille. Rester qu’en surface transforme ce type de personnage en archétype. C’était très jouissif de l’incarner, vraiment. Jusqu’à aujourd’hui, le Juge Michel est une personnalité emblématique à Marseille. Il n’y en a pas tous les jours des mecs comme ça qui, malgré un contrat sur la tronche, continuent de creuser et d’aller jusqu’au bout pour être raccord avec l’idée qu’ils se font de la justice. Il avait une incroyable connaissance de ses dossiers. Il est entré dans l’intimité des mafieux.

Vous dites que Cédric Jimenez a volé des choses de vous sur ce film. Quoi ?

Il a réussi à faire en sorte que je lui donne de mon intimité. Et ça, je ne le fais pas avec tout le monde. Je l’ai par exemple offerte à Nicole Garcia dans Un balcon sur la mer parce que j’ai cru à la façon dont elle m’a regardé. Je ne peux pas le donner à tout le monde. Sur La French, j’ai lâché les lions. Cédric pouvait me refaire jouer 18 fois la scène du téléphone, je l’aurais faite 18 fois en chialant. Parce que j’avais envie de ça. Parce que j’avais envie de me faire mal.

Il faut le faire plus souvent alors…

Je suis d’accord, encore faut-il trouver les bons films pour ça. Faire ce genre de scène dans un film moyen ou ridicule, c’est dur (rires). Faut qu’il y ait une armée derrière mon pote, parce que je ne vais pas chialer sur une peau de banane. Je m’investis autant si les conditions sont là. Un bon acteur dans un mauvais film, ça reste un mauvais film. Ici, je savais qu’on faisait quelque chose de bien. (Réflexion) Je me rends compte que la profession ne me connait pas trop finalement. Je me suis vachement planqué derrière des personnages, j’ai avancé masqué. Parce que c’est difficile de lâcher tout ça, cette impudeur. L’humour est une carapace. Moi dans ma vie, je ne suis pas à toute blinde. Je peux pleurer comme le juge Michel. J’ai aussi des tourments, je m’en sers et j’accepte un peu plus de les montrer. Ça me plait, je suis très heureux d’être malheureux.

Appréhendiez-vous de retrouver Gilles Lellouche dans un film aussi sérieux ? Car vous renvoyez l’image d’une franche camaraderie…

Jamais ! Avec Gilou, on savait que ça irait. On peut déconner, faire des comédies. On n’est pas que des amuseurs. On espère de plus en plus être des acteurs. On a un regard bienveillant l’un sur l’autre. C’est agréable de partager ce film avec lui. On avait l’âge pour. Dans ce pays, on se choppe parfois des cases sur des idées reçues. Il faut pouvoir faire des films comme ça pour effacer le précédent. C’est super de prendre de vitesse tout en essayant de se surprendre soi-même. Ça nous éclate d’avoir travaillé sur Les Infidèles et La French, qui sont diamétralement opposés. Et je serais heureux de retrouver Gilles régulièrement. Il a été courageux d’endosser ce rôle de mafieux casse-gueule. Il me demandait souvent : « Ça va ? Je ne fais pas trop De Niro de Melun ? » (rires). Mais il est super !

La French : Photo Bernard Blancan, Jean DujardinOn sent que ce film est peut-être un tournant dans votre carrière. Avez-vous pris conscience de quelque chose ?

C’est vrai… Il y a eu une prise de conscience. Encore une fois, l’après Oscar a été excessif et fantasmé de la part des journalistes et de certaines personnes…. J’ai eu des craintes… Je me suis dit : « Ce n’est pas sérieux tout ça. Ne te demande pas ce qu’on va penser de toi… » La grosse tête, j’aurais pu l’avoir longtemps avant. Mais bon, le contraire fait vendre. Ça fait saga ! Comment voulez-vous en sortir indemne ? J’ai toujours pensé naïvement qu’on ne me voulait pas de mal. Et puis je me rends compte qu’on dit finalement des saloperies. On vous fait mal, ça vous agace, ça vous affaiblit. L’époque est un peu comme ça. C’est très cruel. Me faire insulter ou me faire passer pour un autre, ce n’est pas la rançon de la gloire. Je n’ai pas envie d’une carrière aux États-Unis, vous le savez. J’ai de temps en temps des projets là-bas et ça m’amuse.

Et Nespresso ?

Ça, c’est une farce formidable, une parenthèse. George, avec qui je m’entends bien, m’a appelé pour me proposer de passer trois jours avec lui au lac de Come et se marrer. Pour moi, ce n’est même pas de la pub. Je suis l’invité de George comme Matt Damon ou John Malkovich avant moi.

Un mot sur une hypothétique suite à OSS 117 ?

J’aimerais bien rempiler. Ça dépend beaucoup de Michel Hazanavicius. Si demain il me dit qu’on repart, je suis d’accord pour un troisième. Pour l’instant, il n’y a rien d’écrit. Après The Search, Michel va faire une comédie aux Etats-Unis.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous fait envie ?

J’ai envie de comédie, de facétie, de m’amuser, de déconner… De faire des choses qui n’ont pas été faites. Je veux aller vers des scénarios qui me font rire. C’est ce que je cherche. Je travaille sur l’écriture d’un autre Brice de Nice. Je retrouve de l’insouciance, en fait. Là, je pars le 5 janvier en Inde pour le tournage du nouveau Claude Lelouch. On a un bout d’histoire et on va voir ce qui va se passer. Claude adore le lâcher-prise, la liberté.

Et la réalisation ?

J’aime l’entreprise du plateau, le travail en commun. On a tous besoins des uns des autres pour le cinéma et pour inscrire une œuvre dans l’éternité. Mais la réalisation ne m’intéresse pas. Le cadre non plus. Il y en a qui sont très bons pour ça.

Propos recueillis par Mehdi Omaïs